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Et si, je pouvais revenir en arrière...

Et si, je pouvais revenir en arrière...

ak

4.4
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Chapitres

Rescapée d'un passé douloureux, Teska, jeune scientifique, a hérité d'un objet de famille hors du commun : le Chandrakant. Cette boîte mystique de la taille d'une paume de main est capable de remonter le temps. Quoi de plus naturel que d'abuser de ce don pour s'épanouir dans sa vie, quitte à la recommencer à la demande sur plusieurs générations ? Il s'avère qu'à force de jouer avec le feu on se brûle, et les conséquences pour son couple et son ADN ne seront pas anodines mais nécessaires pour l'accomplissement de son destin extraordinaire, rien de moins que sauver le monde. Teska devra passer outre ses convictions et son serment d'Hippocrate afin de mener à bien sa mission et prodiguer à l'humanité un futur viable.

Capítulo 1 Remise à zéro

- Tu ne peux pas faire ça sans me demander mon avis Teska.

La quadragénaire fronça les sourcils, s’assit et baissa la tête, comme une petite fille qu’on reprend, face au reproche qui lui était formulé. Joras, debout, était aussi droit que possible, mais devait courber son corps pour ne pas toucher le haut du tunnel dans lequel ils se trouvaient. Il était la seule personne qui paraissait encore réelle dans son esprit torturé, il fallait donc à tout prix éviter de le contrarier, même s’il avait évidemment tort. A cet instant, Teska se sentit tel un chaton que l’on attrape par la peau du cou, après avoir bu le lait si alléchant dans le bol de ses maîtres. Malgré la punition, le jeu en valait la chandelle, aucun regret. Le mieux à faire était de laisser son compagnon formuler ses critiques, n’ayant plus que lui de toute façon, il fallait bien laisser passer... Comme d’habitude, en fait… Cela lui passait toujours. Lui aussi était seul après tout. Ils devaient se soutenir, ensemble contre tous, contre la vie en général, ils ne faisaient que passer après tout. Tout… Un concept abstrait… « Tout » paraissait tellement faux.

Prisonniers dans d’un vortex temporel, en forme de boyau noir sans fin, Teska ne pouvait qu’attendre que l’orage passe avec patience et bienveillance. Ce qui de toute évidence, n’étaient pas ses matières préférées. L’endroit était curieux, il ne faisait ni chaud ni froid, on ne sentait pas tellement son corps, mais il y avait une gravité. Curieusement, il ne faisait pas sombre, les filaments qui couraient tout autour de la galerie les éclairaient relativement bien, enfin, suffisamment pour voir le visage contrarié de son compagnon de voyage. Teska se demandait s’ils étaient dans une sorte de capsule, car ils ne sentaient pas de mouvement, mais autour d’eux les éclairs électriques circulaient à grande vitesse. Cela défiait la physique telle qu’elle l’entendait. Elle avait bien essayé de comprendre ce phénomène, mais sans succès. Tandis que Joras laissait échapper toute sa frustration, elle emprisonna entre ses mains une onde électromagnétique mauve qui passait par là. La sensation restait toujours la même, des petites piqûres d’électricité qui rendaient vivant cet instant pourtant surréaliste, même après des décennies de voyage temporel. A force de pression, l’onde devint une magnifique boule mauve luminescente. Teska regardait fixement cette balle lumineuse entre ses doigts et écarta petit à petit les mains de quelques centimètres, jusqu’à ce que des filaments se détachent de la lumière et entourent la boule d’énergie, rappelant le symbole de l’atome, en un peu plus indiscipliné. Teska était plutôt satisfaite de sa création et sourit distraitement face à son œuvre. De son côté, Joras, obnubilé par sa colère, émit un son aigu pendant son plaidoyer, ce qui fit lâcher de surprise la boule luminescente de l’apprentie magicienne. La source lumineuse reprit sa forme d’origine et fuit vers l’abîme. Retour à la « réalité », il était temps de mettre fin à la crise existentielle de Joras. Un coup d’œil derrière son compagnon lui permit de voir que le voyage temporel était bientôt terminé et qu’il était temps qu’elle mette fin à cette conversation inutile. En effet, la lumière blanche commençait à apparaître au bout du tunnel, signe qu’il fallait se préparer à un atterrissage forcé.

- Je n’aimais pas cette vie. Il fallait revenir en arrière, annonça-t-elle calmement en regardant son conjoint d’un air de défit.

- Mais t’es-tu seulement demandé si j’en avais envie ? J’aimais les enfants que nous avons eu ! notre maison, mon boulot… Les chiens ! j’aimais nos chiens ! Tu y as pensé à eux ? Hein ?! Il ne reste rien. Encore une fois !

Joras tremblait de colère, des larmes irrépressibles commençaient à poindre aux coins de ses yeux. Comment Teska pouvait-elle encore faire passer son propre confort avant le sien ? Certes, elle était seule détentrice du pouvoir du Chandrakant, mais ça ne lui conférait aucunement le droit de décider seule de leur avenir et surtout de leur passé. Le souvenir de leurs jours heureux lui serra le cœur, et sa colère se commua en peine. Joras s’effondra à genoux et pleura. Chaque larme le libérait un peu plus de sa douleur et de son désir de suivre le temps qui passe une bonne fois pour toute. Il était persuadé que cette fois était la bonne, que Teska et lui avaient trouvé leur rythme pour de bon, l’équilibre entre leurs besoins et leurs obligations, mais visiblement, il se trompait lourdement. Joras était perdu, il ne comprenait pas ce qu’il avait bien pu faire de mal cette fois encore.

Teska eu un regard plein d’exaspération pour Joras, il était faible, mais il s’en remettrait. Oui, ils avaient battis une belle vie, du moins en apparence. Oui, le monde dans lequel ils étaient prisonniers imposait un dictat sur la façon d’être heureux. Cette méthode ne lui collait pas. Ce n’était pas la première fois qu’ils essayaient la méthode : mariage, maison, enfants, chiens. Si son calcul était bon, c’était la cinquième. Peut-être celle de trop… Cette fois Teska avait tenu à travailler et être la plus indépendante possible. Mais ses enfants le lui avaient reproché. Il lui avait quand même fallu vingt-cinq ans avant de relancer le Chandrakant en arrière. Vingt-cinq ans.

Elle se sentait rajeunir au fur et à mesure que le vortex progressait. Une sensation enivrante. Ses mains, son corps, son esprit devenaient plus agiles au fur et à mesure que le temps remontait. Les traces de ses multiples grossesses s’effaçaient, et malgré la tristesse d’abandonner vingt-cinq années bien chargées, elle se sentit satisfaite de se retrouver elle, simplement elle. Les divers sentiments l’ayant fait grandir durant ces années s’atténuaient, et seuls les souvenirs apathiques demeuraient vivants. Trop de souvenirs… Ils se mélangeaient tous désormais. Combien de fois avaient-ils remonté le temps et modifié leurs vies ? Teska ne savait plus. Ce qu’elle savait en revanche, c’est que le temps était compté. Plus elle laissait la vieillesse prendre du terrain, plus la route en arrière était difficile et chaotique, ses cellules ne pouvaient pas subir ça indéfiniment. Teska le sentait, elle arrivait au bout du voyage. Une pensée fugace s’immisça dans son esprit, elle vit sa vieille grand-mère lui sourire et tendre sa main pleine de rides vers elle. Non, ce n’était pas pour elle, c’était impossible à supporter, Teska chassa cette image de son esprit. Joras, lui, n’avait cependant pas l’air de sentir les mêmes effets sur son corps, ce qui l’irritait considérablement, encore une disparité physiologique entre les hommes et les femmes... C’était agaçant…

Petit à petit, Joras se calmait, ses sentiments s’amenuisaient et devenaient moins prépondérants. Il pardonnait l’acte de Teska, comme à chaque fois. Il n’avait pas le choix, il l’aimait et n’avait qu’elle auprès de lui, la seule qui pouvait le comprendre face à une histoire si anormalement longue et hétéroclite. Tant pis, il recommencerait, c’était un nouveau challenge ! Ils ne pouvaient plus retourner vers le futur de toute manière, le voyage n’était possible que dans un sens, vers le passé… Quel manque de correction, quand quelque chose n’allait pas, hop, on retournait en arrière et le problème n’existait plus, formidable ! Enfin, je ne suis pas certain que le monde entier apprécierait s’il savait… se dit-il. Joras sentit cependant que quelque chose s’était brisé en lui, et réalisa que rendre son épouse heureuse était sûrement impossible, il fallait qu’elle le fasse par elle-même, mais ça, elle ne le comprenait pas. Peut-être faudrait-il réorienter leur vie vers une pratique philosophique cette fois ? Son épouse ? L’était-elle encore ? A quel endroit de leur existence avait-elle remonté le temps ? Ils avaient essayé plusieurs schémas, pour savoir lequel était le meilleur : le jour de leur rencontre pour faire d’autres choix, avec ou sans mariage, avec ou sans tour du monde, d’autres régions, avec ou sans enfant, un ou plusieurs, un boulot ou pas, vivre en dehors du système ou en être un des acteurs principaux… Alors quoi cette fois ? L’envie lui prit de devenir illusionniste cette fois, ouais, magicien c’était cool. Il avait assisté à un « pestacle » qui l’avait subjugué à San Francisco. « Pestacle », c’est comme ça que Dorian et Séraphine s’exprimaient. Ses enfants lui manquaient. Joras se sentait être père, c’était un rôle nécessaire pour sa vie. C’était tellement difficile d’oublier ces petits bouts d’amour et de ne pas les comparer à leurs autres « frères et sœurs » d’une autre réalité. Il n’avait rien d’eux, pas de photos, de mèches de cheveux, de petites mains en pâte à sel… Juste des images dans sa tête, qui devenaient de plus en plus fade à mesure qu’il remontait le temps. Ces petits bouts d’eux, qui n’existeront jamais finalement. Il se souvint du premier enfant qu’ils avaient eu. Quelle aventure extraordinaire, le ventre de Teska qui s’arrondissait chaque jour un peu plus, le premier contact avec ce petit être qui déforme cet arrondi parfait. Incroyable, un Alien ! Et l’accouchement, une torture pour Teska, un moment irréel pour lui. Comment est-ce possible de faire ça ? Dix heures avant il était dans le ventre de sa mère ! Incroyable. Comment avait-il pu fabriquer ce petit être si admirable ? Comment faisait-il pour tenir là-dedans ? Et la première fois dans ses bras, jamais Joras ne pourra occulter la chaleur et l’amour inconditionnel qu’il a éprouvé à cet instant. Il l’avait éprouvé à chaque fois, à chaque rencontre avec un nouvel enfant. C’était indescriptible, ce mélange d’amour inconditionnel, de peur de l’avenir et de ne pas réussir à être parfait pour lui, tout en sachant que la seule chose nécessaire, n’est pourtant que de l’aimer. Cette minuscule partie de soi, totalement dépendante, et qui chamboule l’intégralité de votre être et de votre quotidien. Plus rien ne sera comme avant, maintenant il faut être responsable et disponible. Non, maintenant, il faut tout recommencer, en mieux. Comment Teska pouvait-elle oublier ? Pour l’instant, il le fallait, afin de garder un minimum de santé mentale. Seule Teska pourrait décider si oui ou non, ils auraient d’autres enfants. L’attachement disparaissait petit à petit, tandis que son corps devenait de plus en plus jeune. A priori ; le voyage étant long et plutôt chaotique, Teska les ramenaient loin dans le passé. Il y avait comme des trous d’airs, de temps en temps un bruit retentissait et les filaments se stoppaient net, puis tout repartait en quelques secondes. A chaque fois, leurs corps étaient ramenés en avant brusquement, puis en arrière lors de la reprise du mouvement. . Peut-être était-ce dû à un moment difficile à remonter pour notre espace-temps, le détail ne leur apparaissait pas, mais Joras était intimement persuadé qu’il s’agissait d’une anomalie car lorsque le temps remontait, les gens décédés étaient à nouveau en vie ; comment un tel changement pouvait-il être accueilli par notre dimension sans créer des problématiques ? Teska refusait d’en parler, mais il savait qu’elle avait déjà abusé de ce pouvoir sur sa grand-mère, qui l’avait suppliée de la laisser partir une bonne fois pour toutes. Elle s’était donc désormais interdit de retourner avant cette date.

Joras observa le tunnel sombre et morcelé d’étincelles et filaments suffisamment lumineux pour voir sa compagne qui le dévisageait froidement. Il n’y avait pas de formation ou de préparation aux voyages temporels, un peu de compassion de sa part serait un minimum, surtout vu le contexte dans lequel il était exécuté. Il n’était pas issu d’une famille de voyageurs spatiotemporels, lui. Ça lui était littéralement tombé dessus, lui. Un soir d’hiver comme ça, sans prévenir, ce souvenir-là ne disparaîtra pas, lui...

L’espèce de boîte bizarre était venue lui écraser le petit orteil alors qu’il chahutait avec Teska. Ils étaient jeunes, et venaient tout juste de sortir de cours. Le temps était sec mais froid, à peine entrés dans leur appartement, les jeunes tourtereaux jouaient à celui qui posait ses mains froides partout. Et comme tout le monde le sait, mais personne n’y prête attention, les proverbes étant exclusivement réservés à l’usage des plus vieux, et, il est entendu qu’il faut les ignorer, jusqu’à ce qu’un ancien passe dans le coin par inadvertance et s’écrit : « jeu de mains, jeu de vilains », ainsi, les choses avaient mal tournées… Au début, il s’était dit que c’était une boite à bijou, une très vieille boîte, et d’après son petit orteil, extrêmement lourde qui plus est. Teska pleurait de rire sur le canapé et reprit doucement son souffle, sans prêter attention à la scène, heureuse d’avoir un peu de répit. Fasciné, il se pencha lentement pour la ramasser. Il s’aperçut rapidement que l’objet n’était pas ordinaire, ses doigts pouvaient entrer dans les interstices et instinctivement il eut envie de réaliser un mouvement de rotation. Avant même qu’il puisse concrétiser son idée, Teska lui sautait dessus et voulut l’empêcher d’y toucher. Comme sorti de son hypnose, Joras reprit leur jeu et s’enfuit avec la boîte mystérieuse dont, il n’arrivait pas à déterminer la nature du matériau utilisé pour sa conception. Son esprit jovial voulut, tout de même en savoir plus, et visiblement sa compagne n’était pas de cet avis. Le jeune homme s’enferma dans la salle de bain. Teska ne jouait plus.

- Ouvre, s’il te plaît ! j’y tiens beaucoup, ça me vient de ma grand-mère, dit-elle espérant son ton plus amical qu’en réalité, la manipulation n’était décidément pas son fort et intérieurement le côté obscur avait pris les pleins pouvoirs.

- Qu’est-ce que c’est ?

-… Une boite à bijoux… C’est rien, c’est plus sentimental qu’autre chose, rends la moi s’il te plaît.

Joras retournait l’objet dans tous les sens, et se confirmait à lui-même qu’il lui était impossible de déterminer sa matière première ou l’alliage utilisé. Une très belle pièce d’orfèvrerie, cela dit, remarqua-t-il. La boîte à bijou était petite, elle tenait dans la paume de la main, ronde et argentée, d’à peu près deux centimètres de profondeur, brillante aux reflets de la lumière. Des gravures, en forme de branches de lierre, s’entrecroisaient en tous sens et donnaient un aspect ancien à l’objet. En son centre, un rond du même métal, mais plus foncé, était couvert d’inscriptions étranges, une chose était sûre, ce n’était pas du latin. Ce qui était le plus surprenant, c’était ces trous étranges où il aurait pu glisser ses doigts jusqu’à la première phalange.

- Le jeune homme se sentait attiré par les interstices qui semblaient adaptés à ses doigts avides. Quelque chose le perturbait et il tentait de résister. Mais, la curiosité étant un vilain défaut, mais après tout, personne n’en saurait rien et où était le mal, ce n’était qu’une boîte à bijoux… Joras baladait ses mains sur l’écusson central, puis observa de plus près les orifices. Huit trous qui entouraient la pièce du milieu, tous, avec un motif différent dans leur fond. L’une des cavités contenait une sphère blanche dans sa base, son opposée une sphère noire. Trois cavités, de chaque côté, avaient des motifs inversés où le blanc disparaissait petit à petit « mangé » par des croissants sombres, ou étaient-ce les croissants clairs qui les absorbaient ? On aurait dit un calendrier lunaire, passant de la pleine lune à la nouvelle lune et y revenant par le circuit inverse. A n’en pas douter, cet objet était magnifique et conservé dans un parfait état. Pourquoi Teska se baladait-elle avec un objet à priori ancien et de grande valeur dans ses poches ?

- Comment s’ouvre-t-elle ? Qu’est-ce que tu caches à l’intérieur ? demanda-t-il.

Teska était ivre de colère, il ne fallait pas qu’il découvre son secret. Personne ne devait savoir, Mamie Miska avait été claire là-dessus, étant désormais la seule représentante de sa famille, cette responsabilité lui incombait. D’ailleurs, elle ne l’utilisait pratiquement jamais, le Chandrakant était bien trop dangereux et sa formation n’avait été que trop courte pour saisir tous les concepts de l’outil. Cependant, il était très pratique de pouvoir l’utiliser pour assister à plusieurs cours en simultané…

- Rien, il n’y a rien du tout dedans. Je pense que c’est cassé, je n’ai jamais pu l’ouvrir… Sors s’il te plaît. On pourrait aller manger un truc, j’ai faim… Ça te tente ? dit-elle puisant dans les fonds de tiroirs ses derniers grammes de patience.

Teska était au bord de la crise de nerf, encore cinq minutes et elle enfoncerait cette maudite porte avec l’extincteur juste à côté ! Cela risquait d’être long, mais c’était ça ou le feu ! Puis elle se rendit compte que le sens d’ouverture de la porte était vers elle, damned, il fallait une autre idée. Elle tournait dans tous les sens pour trouver une solution. De toute façon, elle remonterait le temps donc peu importe les dégâts qu’elle engendrerait, pourvu qu’il sorte. Un vertige la prit soudain, elle ferma les yeux et quand elle les rouvrit, la porte de l’appartement lui faisait face. Teska regarda autour d’elle, à priori il avait dû remonter uniquement de quelques minutes, la nuit commençait à tomber, comme lorsqu’elle était arrivée en sortant de cours. Normalement, Joras serait sur le canapé, en train de goûter. Elle entra sans s’annoncer, consciente que les choses ne seraient désormais plus comme avant.

Joras était effectivement sur le canapé, mais son expression avait changé, au lieu de lui sauter dessus comme précédemment, elle lui laissa quelques instants pour comprendre la situation, si cela était seulement envisageable à un non pratiquant… Les yeux exorbités, une tartine de pain beurré dans une main et le petit objet voyageur dans l’autre, il dévisageait la visiteuse.

- Mais qu’est-ce qui s’est passé ?

La télévision fonctionnait, pourtant Joras était persuadé de l’avoir éteinte lorsque Teska était « déjà » entrée chez lui. Il avait même ouvert la porte lui-même, et elle lui avait sauté dessus avec ses mains gelées. C’était une agression caractérisée à l’encontre de ses abdos qui avaient immédiatement perdus toute consistance en se rétractant instinctivement. S’en était suivi un virulent échange de chatouilles, de rire et il l’avait espéré plus si affinité… Mais, là, la présentatrice annonçait les commérages du jour, pour la deuxième fois et il ne regardait pas sur une chaîne d’info en continue, d’où sa stupeur.

- Attends mais, elle l’a déjà dit, il y a une minute… Qu’est-ce que tu fais à la porte ? Et moi sur le canapé ? J’étais dans la salle de bain…

- Rends-moi la boîte, ordonna Teska en avançant plus déterminée que jamais à reprendre son précieux objet.

L’heure n’était plus aux amusements. Joras avait remonté le temps de quelques minutes, ça aurait pu être bien pire et visiblement, il était très perturbé. Que faire maintenant ? Plusieurs choix se proposaient à elle. Le premier : l’éliminer, c’était, cela dit, bien mérité, depuis quand était-il normal de voler les affaires des autres et de remonter le temps, sans demander avant ? Sa grand-mère aurait certainement apprécié cette option, mais on n’était plus en pleine campagne, en guerre, dans un trou perdu... Le deuxième : revenir en arrière de quelques minutes supplémentaires était sûrement la solution la plus évidente. Cependant, le troisième choix impliquait de partager son fardeau, c’était bien aussi, parce qu’à vingt ans, on a envie d’être insouciant et non de trimballer seule une histoire de famille douloureuse. Rien qu’à cette pensée, Mamie Miska vint faire des bonds hystériques dans son cerveau. Après tout, sa mère l’avait bien dit à son père à un moment où un autre, sinon ils n’auraient pas essayé d’empêcher la guerre des dizaines de fois, en vain… Sa décision était donc prise.

- C’est quoi ce truc ? insista Joras.

Teska lui arracha des mains l’objet du délit, et le rangea immédiatement dans sa poche intérieure de veste, en se disant qu’il faudrait lui trouver un endroit plus sûr, désormais. Joras balança sa tartine pleine de matière grasse sur la table, comme s’il en était dégouté. Il l’avait déjà mangé cette tartine, il en était certain !

- Je suis désolée, tu n’aurais jamais dû y toucher, ou même connaître son existence.

- Mais explique-moi enfin ! Comment je peux me retrouver sur le canapé, pourquoi la télé redonne les mêmes annonces, pourquoi es-tu à la porte ? J’étais dans la salle de bain, j’en suis certain !

- Calme-toi, s’il te plaît. Joras…

Teska prit ses mains agitées de convulsions frénétiques et s’assit près de lui. Le regard de la jeune femme se voulait rassurant et empli d’affection pour tenter d’entrer en communication.

- Tu as remonté le temps.

- Pardon ?

- Tu as bien compris, et je ne suis pas folle, tu le vois bien toi-même…

- Et tu lis dans mes pensées en plus ? Mais qui es-tu ? Tu es une Alien ? Tu es venue pour me féconder et manger mes organes ?

- Teska prit quelques secondes afin d’apaiser son envie de rire et d’accueillir en toute bienveillance l’angoisse de son amant. Après tout, elle pouvait essayer la vérité, ça ne l’engageait à rien. Même pas de temps perdu… Cette pensée la fit sourire.

- Non… je ne suis pas plus Alien que télépathe... Je n’ai pas de pouvoirs magiques non plus mais la boîte, oui.

Teska tenta le tout pour le tout et sortit à nouveau l’objet surnaturel. Joras bondit un peu plus loin sur le canapé, ne sait-on jamais.

- Joras, ce n’est qu’une boîte. Une toute petite boîte, qui effectivement remonte le temps. Tu peux la toucher, tu l’as déjà fait apparemment, puisqu’on en est là… L’essentiel, c’est que tu ne mettes pas tes doigts dans les trous.

- C’est démoniaque ton truc ? ça va manger mon âme ? Tu es une sorcière ?

- Non, non, promis. On se détend. Je ne suis pas une sorcière. Tu vois, je vais bien, tu vas bien aussi. Ce n’est même pas radioactif, tu as plus de risque pour ta santé en mangeant ta tartine de beurre ou en faisant un vaccin contre la grippe... Tu veux la toucher ?

- Non.

- Ok... Bon, est-ce que tu veux en savoir plus ?

- Mmmh…

- Cette boîte s’appelle le Chandrakant, c’est du Sanskrit, ça veut dire « aimé de la lune ». Tu vois, ce n’est pas méchant, elle est cool la lune.

- Ah je savais bien qu’il y avait un rapport avec ça !

Teska releva un sourcil, c’était peut-être une bonne idée finalement, passé le côté immature et agité du garçon... Il allait bien se calmer à un moment ou un autre de toute façon.

- Très bien. Donc ces ronds symbolisent le calendrier lunaire inversé. On ne peut que remonter le temps, pas l’avancer. Et on ne peut pas revenir trop en arrière non plus, uniquement dans l’espace-temps où nous avons vécu.

- Tu veux dire que tu ne peux pas aller serrer la main de Louis XIV.

- C’est ça, effectivement. Je t’avoue que j’aurais surement fait autre chose, mais oui, c’est l’idée.

- Pourquoi n’empêches-tu pas des atrocités d’être commises ?

- Parce que je reste mortelle ! je n’ai pas de super pouvoirs, je ne peux pas empêcher qui que ce soit de faire du mal, que veux-tu que je fasse ?

- Mais tu as quel âge en fait ?

- Le même que toi. Je vieillis comme toi. C’est juste qu’en remontant d’une heure, je peux assister à deux cours en même temps. Ça n’apporte rien au monde. Au contraire…

Des larmes s’insinuèrent silencieusement dans les yeux de Teska, elle les balaya d’un clignement de paupière.

- Le Chandrakant ne peut pas empêcher la folie des hommes. Mes parents ont essayé des dizaines de fois d’éviter la guerre dans mon pays. Ils sont morts pour ça. Ma mère pensait pouvoir remonter le temps pour y parvenir, mais le futur est instable, on ne peut pas prévoir ce qui va arriver. Le Chandrakant ne peut pas non plus ressusciter ceux qui l’utilisaient, il se bloque et empêche le retour. Ma grand-mère a tout essayé, elle n’a jamais réussi. Nous devons nous souvenir que nous sommes mortels et laisser le monde vivre ce qu’il doit vivre, malheureusement.

- Est-ce qu’en l’utilisant tu créés des réalités alternatives ?

- Je ne peux pas répondre à ta question Joras… Je t’ai dit tout ce que je sais. J’ignore d’où il provient, ou quel est le but de tout cela. Pourquoi ai-je ce privilège plus qu’un autre qui pourrait peut-être changer les choses. Mais ce que je me demande maintenant, c’est si tu veux bien partager cela avec moi…

Teska lui tendit la main, Joras hésita quelques secondes. Deux orphelins sans attache, la possibilité de créer un monde meilleur pour tous et de se prendre pour un super héros, comment dire non à une telle proposition ? Le jeune homme saisit la perche et attira sa galante vers lui, fou d’amour pour elle et cet avenir empli d’un nouvel espoir.

Joras enfouit ce souvenir ; ne pas vivre dans les passés... Mouais… alors que pourrait-il faire de ses dix doigts cette fois… Magicien, ça lui plaisait bien, besoin de reconnaissance, d’être idéalisé… d’amour peut être… Après tout, devenir célèbre, il n’avait encore jamais essayé, mais il fallait sûrement bosser dur pour cela... A voir…

- On fera mieux Joras, je te le promets. Maintenant, réfléchis à ce que tu veux devenir.

- J’ai une vague idée, dit-il le visage renfrogné.

- Les autres humains n’ont pas la chance de pouvoir recommencer leur vie là où elle ne leur convient plus ! Tu devrais être reconnaissant de la chance que nous avons.

- Ça ne justifie pas ta conduite, répondit-il en essuyant la dernière larme qui perçait avec ardeur au coin de son œil.

- On est arrivé, prépare-toi.

Joras se leva et dans l’attente ferma les yeux. Il ne voulait pas voir en premier, il préférait sentir et essayer de se souvenir de l’instant comme d’une première fois.

Teska, dédaigneuse des remarques émises par son compagnon, s’apprêta pour l’atterrissage. Depuis le temps, elle savait comment l’appréhender en douceur, elle fléchit ses jambes et arrondit son dos, prête à attaquer comme un félin se jetant sur sa proie, le but étant de minimiser les douleurs liées aux chutes de l’atterrissage. Une bonne santé physique était nécessaire dans ces voyages, la dernière vie ayant été trop longue, elle s’était ramollie. Les tensions musculaires à venir seraient surement en conséquence également, plus le voyage était long, plus les séquelles étaient pénibles, mais elles ne duraient jamais plus d’une journée.

Le sol devint instable et Teska perdit l’équilibre un instant. Une lumière blanche aveuglante apparue telle un petit pois au bout de l’horizon et devint un halo gigantesque et aveuglant en quelques secondes. Teska sauta à pieds joints. Un rebond saisit leurs corps puis plus rien.

Il leur fallut quelques instants pour entendre et voir à nouveau. Une sensation étrange leur indiqua qu’ils avaient absorbé leurs corps de l’époque en cours. Leurs cœurs avaient fait un bond, comme lorsqu’un avion quitte le sol vers les nuages. Leurs pensées étaient confuses et leurs bouts de doigts picotaient. « Je suis vivant » se rassura Joras, comme à chaque fois. L’air était humide, ça sentait l’automne avec les feuilles rougies qui volent et se décomposent. Une petite forme ronde le gênait dans le dos, peut-être un marron ? Joras garda ses yeux fermés jusqu’à ce que Teska lui saisisse doucement la main pour le relever. La douceur de la jeune femme le rassura et un sourire involontaire illumina son visage, tandis qu’il recouvrait la vue.

- Bienvenue en 2005, mon chéri.

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