Réserve amérindienne de Fort Deline, Territoires du Nord-Ouest, Canada
De petites brindilles d'herbes commencent à apparaître sur le sol et les enfants sont pleins de joie à la fin de ce long hiver. Les Amérindiens sont tellement connectés à la nature, c'est fantastique!
Nous sommes sur les terres ancestrales des Sahtus, qui ont une culture et des traditions riches, étroitement liées à la terre et à l'eau de leur territoire ancestral. Au cours de l'hiver que je viens de passer parmi eux, j'ai reçu un accueil très chaleureux et les femmes du village m'ont enseigné plusieurs de leurs techniques pour l'artisanat et mon vocabulaire s'est enrichi de plusieurs mots dans la langue Sahtu.
Je serai bien triste de les quitter! Oui, tellement!
Mais notre mission se déplace souvent d'une communauté nordique à une autre, selon les besoins.
Je dois rejoindre mon chef de mission, le directeur Wilson dans la maison mobile qu'il occupait avant le grand départ.
J'ai fait donc rapidement mes bagages avec beaucoup d'amertume cette fois, car j'ai le sentiment que nous aurions pu faire plus, beaucoup plus pour cette communauté! Le programme Réconciliation et d'Équité Autochtone (PREA) a été mis en place par mon gouvernement (canadien) pour racheter les erreurs du passé de notre pays et tisser de nouveaux liens de partenariat plus solide avec les Premières Nations. Il comprend aussi de l'aide humanitaire…
Des enfants d'une douzaine d'années viennent m'aider à transporter mes bagages à l'arrière du camion qui doit nous conduire. L'un d'eux me remet une petite pierre de savon gravée d'un symbole qui veut dire «paix» dans leur langue.
Je souris furtivement, car à titre de travailleuse sociale, j'ai souvent eu à agir en médiateur entre ses enfants, ou d'autres autochtones et nous, qu'ils voient souvent comme des intrus sur leurs terres sacrées… et chaque fois, je croise toujours mes bras en croix sur mon cœur, et je dis que nous devons établir la paix entre nos deux nations.
Ah… depuis que je fais ce travail, je dois bien avoir appris à dire le mot paix dans une douzaine de dialectes amérindiens au cours des trois dernières années!!!
J'ébouriffe les cheveux du gamin et je le remercie chaleureusement. Je glisse la pierre dans ma poche et je lui promets que je vais la garder très précieusement. Plusieurs autres enfants avec leurs mamans viennent vers moi avec d'autres petits cadeaux de ce genre. Des animaux sculptés à la main et même un capteur de rêve! J'en remercie la vieille dame qui l'a fait pour moi. Cette femme est une ancienne de la communauté qui m'a beaucoup appris et chaque fois que ma grand-mère me manquait… j'allais passer du temps avec cette vieille dame, à tresser des paniers en sa compagnie ou tanner la peau des animaux chassés.
Leur communauté vit selon les anciennes coutumes!
Ryan Wilson sort soudain de sa maison mobile, la mine soucieuse et il regarde en ma direction. Je devine qu'il aimerait que nous terminions les formalités administratives, alors je viens vers lui et nous nous asseyions dans sa petite cuisine pour faire les comptes.
Depuis un certain temps, un fossé se creuse entre les besoins des communautés que nous visitons et les sommes d'argent qui nous sont envoyées, qui sont de moins en moins grandes… alors nous devons rivaliser d'ingéniosité.
Monsieur Wilson pense que ce n'est pas normal, que nous recevions si peu d'argent pour la mission. Le parti au pouvoir vient d'annoncer qu'il allait injecter encore plusieurs millions dans ce programme en vue de sa réélection… donc en principe, nous ne serions pas sensé parler du licenciement de certains autres dans notre groupe pour arriver dans le budget, mais plutôt de l'embauche de plus d'intervenants sur le terrain afin de couvrir plus de territoire!
Pendant que nous en discutons et que nous faisons les comptes, monsieur Wilson me dit qu'il a fait sa petite enquête. Il a aussi mis la main sur quelques chiffres du budget de ce qui serait censé nous être envoyé et qui ne correspond pas du tout à la réalité. Aussitôt que nous serons de retour à Ottawa, il doit rencontrer un de ses contacts à ce sujet.
Nous entendons du bruit à l'extérieur et quand monsieur Wilson va ouvrir, il trouve un des bénévoles de la mission, qui était devant la maison mobile.
Il se nomme Ethan Morris, et ce type me fait franchement flipper!
Il est toujours tellement… étrange! Et il ne me semble pas aimer les Amérindiens tout spécialement, alors je me demande bien pourquoi il s'est porté volontaire pour accompagner notre convoi… mais ses aptitudes de pilote ne sont pas à négliger!
Est-ce qu'il nous espionnait ou quoi?
Le gros rustre nous sourit innocemment, la cigarette au coin des lèvres et il déclare à monsieur Wilson qu'il était sur le point de frapper à sa porte pour se proposer de l'aider à charger les bagages… Wilson s'efface alors pour le laisser entrer et il lui désigne ses bagages dans un coin du petit salon du lieu.
Nous terminons de faire les comptes en silence et je signe le paquet de feuilles brochées quand monsieur Wilson le glisse devant moi. Deux personnes doivent se porter garantes légalement de tout ce qui touche ce programme gouvernemental.
Quelques minutes plus tard, nous quittons tous la réserve en direction du terrain de décollage du petit avion, qui n'est pas si loin. Les autochtones viennent nous dire au revoir et le chef de la tribu me remet un bâton de parole. C'est sa manière à lui de me témoigner sa reconnaissance pour tout ce que j'ai fait pour sa communauté quand j'étais ici.