Prisonnière de son temps
en moyenne Guinée. Un endroit où il fait bon vivre, les habitants solidaires les uns avec les autres dans les travaux champêtres. Une localité dans laquelle les traditions sont respectées à la
force pour aller rendre visite à mon oncle, ce dernier se comportait très bien avec moi. Quand je suis là-bas, il exige que je mange avec lui dans sa case alors que ses autres enfants n'avaient pas le droit d'y pénétrer. Il est toujours d'ailleurs très tactile avec moi. Des gestes que les adultes prennent pour des démonstrations d'affections d'un oncle envers sa petite nièce. Et moi, en quête d'amour paternel et dans ma grande innocence de petite fille, je suis heureuse d'avoir un semblant de présence paternelle dans ma vie. Ma vie a basculée quand ma grand-mère est décédée. J'ai dix ans, et la seule personne que j'ai toujours connu vient de mourir. Je n'ai pas vraiment compris les premiers jours ce qui venait de se passer. J'étais entourée de personnes qui venaient présenter leurs condoléances. Une de mes tantes est venue rester avec moi les sept premiers jours après le décès. Je me demandais souvent si ma grand-mère n'allait plus revenir comme mon père, ma tante me disait que ma grand-mère est allée rejoindre son créateur. Quand est venue l'heure pour ma tante de rentrer chez elle, la question du lieu où je devais habiter s'est posée. Une petite réunion a été convoquée ou il y avait, mon grand oncle, ma tante, ma mère et un autre vieux que je ne connais pas. Ils ont parlé longtemps dans la case de ma grand-mère avant que ma tante ne vienne me chercher à l'arrière de la case ou je jouais à la dinette. -Mouminatou, à partir d'aujourd'hui, tu vas habiter avec moi et ta mère, me dit Koramokoèn avec un sourire que je pensais bienveillant à ce moment là. Je lève la tête et regarde ma mère qui garde obstinément les yeux baissés. Je la fixe pendant une bonne minute espérant qu'elle lève la tête pour essayer de savoir, par l'expression de son visage, si ma venue dans sa maison lui plait. De toute façon, la décision est prise. Ma tante me demande d'aller rassembler mes affaires. Lorsque je pénètre dans la petite case de ma grand-mère, je m'assois sur le lit et récupère l'oreiller sur lequel il y a encore son odeur. Je le porte à mon nez et hume cette odeur qui m'a toujours rassurée. Pour la première fois depuis son décès, j'explose en sanglot. J'enfuis ma tête dans l'oreiller et pleure pendant plusieurs minutes me rendant compte que je vais devoir quitter cette modeste case qui m'a vu grandir. Je me rends compte également que ma grand-mère ne sera plus là pour me protéger et combler en partie l'absence de ma mère dans ma vie. Lorsque je n'en peux plus de pleurer, je me lève et prends mes quelques vêtements que j'attache dans un des pagnes de ma grand-mère. Je récupère son collier en perle dont elle ne se séparait jamais mais aussi un de ces foulards que je me promets de ne jamais laver pour ne pas que son odeur s'en aille. Sur le trajet qui me mène dans ma nouvelle maison, j'observe ma mère qui a les yeux bouffis par les pleures. J'observe aussi mon oncle qui marche avec son chapelet dans une main en murmurant des paroles incompréhensives. Il porte un grand boubou bleu marine, des babouches blanches aux pieds, un chapeau de la même couleur et un keffieh sur le cou. Nous avançons sans que personne ne parle. Même si j'avais envie de parler, je ne saurais pas trop quoi dire. Arrivée dans mon nouveau chez moi, ma génitrice me fait signe de la tête de la suivre. -tu as cette natte, dit-elle en pointant du doigt un truc par terre qui ne ressemble vraiment plus à une natte. -C'est ici que tu vas dormir. Du haut mes dix ans, j'ai eu la présence d'esprit de ne pas répondre et surtout, de ne pas protester. Je pose mes petites affaires dans un coin de la case avant de sortir répondre à l'appelle de mon oncle. Il me confie à ses autres femmes et leur recommande de prendre soin de moi comme si j'étais leur propre enfant. -c'est la seule chose que mon frère nous a laissé. Nous devons donc en prendre soin comme si c'était la prunelle de nos yeux. Ses femmes acquiescent et chacune va vaquer à ses occupations. Je reste arrêter au beau milieu de la cour sans savoir quoi faire. Mon oncle le comprend et m'appelle dans sa case avant d'ordonner qu'on nous serve à manger. C'est presque la prière du crépuscule mais nous avons le temps de manger. Comme les fois ou je venais les saluer, je suis autorisée à prendre le repas avec lui dans sa case. Pendant que nous mangeons, j'observe plus attentivement ses traits, en me demandant s'il ressemble à mon père. Ma grand-mère m'a montrée une photo de lui quand il était jeune. Mais je n'y 'ai pas vu grand-chose, parce qu'au-delà du fait qu'elle soit en noir et blanc, le papier est dégradé. On entrevoit à peine son visage. Après le repas, je me propose de débarrasser et de nettoyer les grains de riz qui sont tombées par terre. Une des femmes de mon oncle sort les nattes dans la cour pour la prière. Nous allons tous prendre nos ablutions et venons prier. Je remarqué que tout le monde reste sur place après la prière, à papoter. L'ambiance est très bonne mais à aucun moment, ma mère ne participe à la conversation. Elle est restée muette comme une carpe. Je me demande si elle est comme ça d'habitude ou si ma présence y est pour quelque chose. Une autre remarque, personne ne hausse le ton dans cette concession. Les voix restent basses, surtout en présence de Koramokoèn. Après la dernière prière, chacun va rejoindre sa case. Je mets la natte que ma mère m'avait indiquée plutôt et y dépose quelques uns de mes pagnes pour que ca soit un peu plus moelleux et confortable. Ma mère se déshabille et reste avec son pagne qu'elle attache sous ses aisselles, je fais de même avant de me coucher. Elle tend la main, récupère la lampe à pétrole et souffle dessus pour l'éteindre. Je me réveil très tôt le lendemain demain, je n'ai d'ailleurs pas beaucoup dormi.