Victor Da Silva scrutait la foule avec un calme calculé. La réception annuelle de la haute société technologique était l'un de ces événements où chacun cherchait à paraître plus important qu'il ne l'était vraiment. Des hommes et des femmes vêtus de smokings et de robes scintillantes flottaient d'un groupe à l'autre, échangeant des rires forcés, des poignées de main faussement chaleureuses, et des promesses qui n'avaient jamais l'intention d'être tenues. Pour Victor, c'était une mascarade qu'il maîtrisait à la perfection.
En tant que PDG de **SilvaTech**, une des entreprises technologiques les plus influentes au monde, Victor se trouvait toujours au centre de l'attention. Il avait réussi à transformer une start-up en un empire mondial en moins de dix ans, une prouesse qui lui avait valu respect, admiration, mais aussi jalousie. Pourtant, ce soir, alors qu'il se tenait en retrait, une coupe de champagne à la main, il ressentait un étrange vide, une fatigue qu'il n'avait jamais connue. La gloire et le succès avaient perdu de leur éclat, et même au sommet de sa carrière, quelque chose lui manquait.
Son regard balaya la salle avec indifférence. Les conversations semblaient se fondre en un murmure constant, presque hypnotique. C'est alors qu'il la vit.
Une femme, vêtue d'une robe noire aussi simple que raffinée, se tenait non loin du bar. Elle était immobile, son regard perçant, comme si elle observait la foule de loin avec un détachement presque inquiétant. Ce n'était pas sa beauté qui attira l'attention de Victor, bien qu'elle soit indéniable - elle dégageait quelque chose de plus. Une aura, une intensité qui le transperçait à distance.
Leurs yeux se croisèrent, et un frisson imperceptible parcourut son échine. Elle ne sourit pas, ne fit pas un geste pour attirer son attention, mais Victor sentit une force magnétique l'attirer vers elle. Comme si quelque chose en elle l'appelait, silencieusement mais irrésistiblement.
« Qui est-ce ? » demanda-t-il à basse voix à son assistant, Mark, qui se tenait non loin.
Mark leva un sourcil en suivant le regard de son patron. « Je ne la connais pas. Elle ne figure pas sur la liste des invités, je peux vérifier si vous voulez. »
« Non, laisse tomber », répliqua Victor, sans détourner les yeux de la mystérieuse inconnue.
Il y avait quelque chose d'étrange dans la manière dont elle se tenait, comme si elle ne faisait pas partie de cette soirée, de ce monde. Elle semblait intouchable, presque irréelle. Chaque fois qu'un invité essayait de l'approcher, ils semblaient hésiter, comme intimidés avant même de dire un mot. Elle, cependant, restait imperturbable, ses yeux parcourant la salle comme si elle cherchait quelqu'un - ou quelque chose.
Victor finit par se rapprocher lentement, son regard captivé par cette présence insaisissable. À mesure qu'il avançait, le brouhaha de la fête semblait s'estomper. Il ne voyait plus que cette femme, l'élégance froide de ses mouvements, et le mystère insondable qui l'entourait.
Arrivé à sa hauteur, il marqua une pause. Elle ne le regardait plus, ses yeux fixés ailleurs, peut-être au-delà de la salle elle-même. Le silence qui les entourait était assourdissant, malgré la musique de fond et les conversations animées autour d'eux.
Victor prit la parole, brisant ce moment suspendu :
« Bonsoir. »
Elle tourna lentement la tête vers lui, ses yeux sombres se posant enfin sur les siens. Un sourire léger, à peine perceptible, se dessina sur ses lèvres, comme si elle avait déjà prévu cette rencontre.
« Bonsoir, Victor Da Silva », dit-elle d'une voix douce mais assurée, comme si elle connaissait déjà tout de lui.
Victor haussa un sourcil, surpris. Il n'était pas inhabituel que les gens le reconnaissent, mais il y avait quelque chose de différent dans sa manière de prononcer son nom, une certitude presque déconcertante.
« Vous connaissez mon nom », répondit-il avec un sourire charmant. « Mais je n'ai pas encore eu l'honneur de connaître le vôtre. »
Elle sourit à nouveau, une lueur mystérieuse dans ses yeux. « Les noms n'ont que l'importance qu'on leur donne. Mais si cela vous rassure, vous pouvez m'appeler... "Lucifer". »
Le cœur de Victor fit un bond. Ce nom, à la fois énigmatique et provocateur, résonnait dans son esprit. Il ne savait pas s'il devait en rire ou s'inquiéter.
« Lucifer ? » répéta-t-il en penchant légèrement la tête, cherchant à comprendre.
« Oui », répondit-elle calmement, comme si c'était la chose la plus naturelle au monde. « Un nom qui a beaucoup de significations, n'est-ce pas ? »
Victor sentit un frisson parcourir son échine. C'était une situation à laquelle il n'était pas habitué. Il avait rencontré des centaines de femmes à travers le monde, des femmes puissantes, influentes, et souvent dangereuses. Mais cette femme... Il y avait quelque chose chez elle qui échappait à toute logique. Une présence qui défiait les conventions.
Il décida de jouer le jeu.
« Alors, Lucifer... que faites-vous ici, à cette soirée ? »
Elle leva les yeux vers lui, et un sourire indéchiffrable passa sur son visage.
« Je suis là pour observer, peut-être même pour évaluer. »
Victor fronça légèrement les sourcils. « Évaluer quoi, exactement ? »
« Vous », répondit-elle simplement, ses yeux ne quittant pas les siens.
Victor, pour la première fois depuis longtemps, se sentit déstabilisé. Habituellement, c'était lui qui avait le contrôle dans ce genre de situation, qui menait la danse des conversations et des négociations. Mais ici, face à cette femme, il avait l'impression d'être observé, analysé, comme s'il n'était qu'un pion sur un échiquier dont elle maîtrisait les règles.
« Vous êtes directe », dit-il finalement en souriant, cherchant à regagner une part de contrôle. « Je suppose que c'est rafraîchissant. »
« La vérité est souvent plus simple que ce que les gens veulent croire, Victor », répondit-elle en croisant les bras. « Vous êtes un homme puissant, mais vous avez atteint un point où votre pouvoir ne vous satisfait plus, n'est-ce pas ? »
Sa voix était douce, mais ses mots étaient tranchants. Victor sentit son cœur s'accélérer, comme si elle avait percé une partie de lui qu'il s'était efforcé de dissimuler.
« Et qu'est-ce qui vous fait dire ça ? » demanda-t-il, maintenant sur la défensive.
Lucifer s'approcha légèrement, ses yeux fixés sur les siens, presque hypnotiques.
« Parce que je l'ai vu des centaines de fois », murmura-t-elle. « L'homme qui a tout... mais qui ressent ce vide, cette soif insatiable. Vous avez l'impression d'avoir conquis le monde, et pourtant, rien ne vous comble. C'est ce qui vous ronge, n'est-ce pas ? »
Victor déglutit, surpris par l'exactitude de ses paroles. Comment pouvait-elle savoir ? Avait-il été si transparent ? Ou y avait-il quelque chose de plus sombre derrière ses paroles ?
« Peut-être que vous avez raison », concéda-t-il en la regardant plus intensément. « Mais alors, dites-moi... que faites-vous dans ce tableau ? Pourquoi m'observer ? »
Elle sourit, un sourire qui semblait à la fois réconfortant et inquiétant.
« Peut-être que je suis ici pour vous offrir ce que vous cherchez vraiment. »
Victor fixa la femme, sentant une tension croissante monter en lui. Le silence entre eux semblait palpable, presque lourd, mais il n’avait pas envie de rompre cette conversation étrange. Il était intrigué, piégé dans l'aura magnétique de cette femme énigmatique. Sa réponse, bien que vague, l’avait touché d'une manière inattendue, comme si elle comprenait quelque chose de lui qu'il n’avait jamais osé admettre, même à lui-même.
Lucifer soutint son regard, impassible, comme si elle savait exactement ce qui se passait dans son esprit.
« Ce que je cherche vraiment ? » répéta-t-il lentement. Il jouait encore la carte de la prudence, mais l'idée qu’elle puisse avoir une réponse, ou au moins une piste, l’intriguait profondément.
Elle hocha légèrement la tête. « Oui. Vous le savez, Victor, au fond de vous. Tout ce pouvoir, cette richesse, c’est admirable, vraiment. Vous avez accompli plus que la plupart des hommes ne pourraient même rêver. Mais vous ressentez toujours ce vide, cette... solitude. Vous cherchez plus. »
Victor ne répondit pas immédiatement. Il était un homme de faits, de chiffres, de contrôle. Pourtant, les mots de cette femme, cette inconnue, touchaient quelque chose de plus profond en lui. Depuis des années, il dissimulait cette sensation de malaise derrière des succès ininterrompus, des acquisitions d’entreprises, des soirées mondaines comme celle-ci, où il jouait son rôle avec brio. Mais au fond, il savait qu’elle avait raison. Le pouvoir était un jeu, un jeu qu'il avait appris à maîtriser. Pourtant, il n'avait jamais imaginé qu'il finirait par s'y ennuyer.
Lucifer fit un pas en avant, réduisant la distance entre eux. Elle n'était qu'à quelques centimètres maintenant, son regard intense accroché au sien. « Ce que je vous propose, Victor, ce n’est pas quelque chose que vous pourrez obtenir par des acquisitions, des fusions ou des négociations. Ce que je vous propose est bien plus profond que tout ce que vous avez connu. »
Victor inclina légèrement la tête, les yeux plissés, essayant de lire au-delà de ses paroles. « Et qu’est-ce que cela pourrait être ? »
Lucifer sourit, mais cette fois, il y avait une lueur presque prédatrice dans ses yeux. « L’immortalité du pouvoir. Un pouvoir qui dépasse les limites de l'humain. »
Victor se redressa instinctivement, pris par surprise. Le choix des mots avait un poids qu’il ne pouvait pas ignorer. « L’immortalité du pouvoir ? » répéta-t-il lentement, sans savoir s'il devait prendre ses paroles au sérieux ou les rejeter comme une simple provocation poétique.
« Oui, Victor. Un pouvoir qui transcende les lois du monde que vous connaissez. Imaginez ne plus avoir à vous soucier des marchés volatils, des crises économiques, des erreurs humaines. Imaginez un pouvoir absolu, sans limite, sans contrainte. »
Son cœur accéléra. C’était insensé, irréel, et pourtant... Il ne pouvait nier que ces mots faisaient écho à des désirs qu'il n’avait jamais osé verbaliser. Le pouvoir sans limite. Le contrôle ultime. Qui ne l’aurait pas voulu ?