Oh ! Combien la Providence fut sage quand elle assigna une si courte carrière dans cette vie ! Quel homme put se flatter d’entraîner avec lui quelques souvenirs de sa jeunesse si elle avait été plus prodigue le jour !
Après avoir erré dans un cercle vide sans fin, recherchant des sensations toujours nouvelles, il arriverait seul au terme et, jetant un dernier regard éteint sur la scène obscure et confuse du passé, il y rechercherait inutilement une des émotions de son premier âge : il aurait tout oublié ! Tout !
Jusqu’au premier baiser de sa bien-aimée,
Jusqu’aux cheveux blancs de son père…
Livre premier
Tout est éphémère,
Et le fait de se souvenir
Et l’objet dont on se souvient…
Marc Aurèle
Alep, 1740 ?
Mes aïeux venaient sans doute de Palestine, mais presque personne ne s’en souvenait ; ils s’installèrent à Rawsky vers 1746 en Glacie, région anciennement située en Europe centrale au nord des Carpates, dans les lointains environs de Cracovie.
Krakow, ville polonaise importante dont la bibliothèque est reconnue comme étant une des plus fournies et des plus anciennes. Elle est, probablement, encore dirigée par une cousine de notre famille.
Arrivé dans la contrée, chaque foyer reçut (?) une petite maison construite en bois et quelques ares de terrain de culture. Chaque propriétaire devait payer une redevance qui était, disait mon père, le quart de l’éventuelle récolte. La vie dans ce pays n’était pas folâtre ; l’été y était aussi chaud qu’en Palestine, mais l’hiver était tout simplement intenable. Parfois, racontait-il, la neige atteignait la hauteur de toit et ceux-ci s’effondraient bien souvent ; ce qui amenait dans la maison des proches, des hôtes inattendus. Le ravitaillement, déjà maigre, devenait alors inexistant. Combien sont morts de froid et de faim dans ces pauvres masures ?
Ils avaient tant de fois reproché au rabbin d’avoir choisi un endroit pareil.