C'est une histoire d'amour, de rapport de force, de genre, de conflit, d'incompatibilitĂ©. C'est une seule journĂ©e, une seule nuit, dĂ©cortiquĂ©e heure par heure, en attendant l'aube, que tout s'efface. Que tout finisse. Comme Ă chaque fois. C'est 24 heures dans la tĂȘte d'une fille qui ne sait plus vraiment oĂč l'emmĂšne la vie.
Il n'avait pas lu le livre mais avait vu le film. Ainsi ce fĂ»t par le biais de ouĂŻ-dire qu'il reçut de l'Ćuvre, que l'homme tĂ©lĂ©chargea la version sous-titrĂ© -en mauvais français qu'il comprenait parfaitement-, de l'adaptation du dernier roman de son ancienne petite amie, Emma Crosse -dont il n'avait plus eĂ»t de nouvelles depuis bientĂŽt cinq ans.
Le téléphone sonna soudain, coupant le film en visionnage, l'homme décrocha rapidement.
« - Ouais ? »
La discussion s'Ă©ternisĂ© quelque peu, quand, Ă la suite d'une sĂ©rie de « hum hum » et de « ah ! » Ă l'air faussement impliquĂ©, le jeune Adrian referma l'androĂŻde. Ăteignant son ordinateur portable, enfilant une veste noire Monster Ă©nergieÂź puis sautant sans mĂȘme prendre la peine de dĂ©faire et refaire ses lacets, il sortĂźt brusquement de l'appartement qu'il louait le temps de ses Ă©tudes.
Se dĂ©pĂȘchant un maximum, tout en consultant sa montre toutes les trente secondes, il s'arrĂȘta Ă l'unique super marchĂ© encore ouvert. Galopant dans les rayons, une bouteille Ă la main, il alla vers la caisse centrale, oĂč une belle Ă©tudiante passait les clients Ă la file indienne.
Une fois payĂ© sa bouteille, la porte automatique ne fĂ»t pas fini de s'ouvrir qu'il Ă©tait dĂ©jĂ en marche vers la maison aux volets bleu marine oĂč l'attendait des amis.
â â â
Magasin bondĂ©, un samedi en fin d'aprĂšs-midi. Une jeune caissiĂšre passe d'un geste vif et assurĂ© les produits dĂ©livrĂ©s par le tapis roulant. Encaissant les clients Ă la chaĂźne, ses pensĂ©es occupĂ©es Ă la fĂȘte du soir, elle s'activait.
Un homme plutÎt gauche, qui ne voulant céder une bouteille de cidre au tapis encombré, la fßt, dans un geste maladroit, éclater au sol. Outré et en colÚre, la responsable de caisse était venu contester les dégùts. Faisant prendre ainsi un retard important à la femme qui encaissait sans fin jusqu'ici.
L'homme s'excusa exagérément, arrachant un sourire à notre petit bout de femme.
La soirĂ©e enfin arrivĂ©, l'air extĂ©nuĂ©, Emma fila se changer en vitesse. Le paquet cadeau dans une main, son sac dans l'autre elle sortit. A la lumiĂšre des rĂ©verbĂšres, La jeune femme se dirigea, non sans peine, jusqu'Ă l'adresse indiquĂ© sur le papier froissĂ©. On vĂźnt lui ouvrir tandis qu'elle s'apprĂȘtait Ă appuyer sur l'interrupteur de la sonnette.
Emma Ă©carquilla les yeux lorsqu'elle reconnue l'homme devant elle.
â â â
AprĂšs l'effet de surprise, Adrian invita Emma Ă entrer. Les prĂ©sentations bĂąclĂ©es par Sophia -meilleure amie d'Emma et amie plus qu'intime d'Adrian- la fĂȘte se dĂ©roula sans plus d'encombre. Apprenant Ă se dĂ©couvrir, chacun fĂ»t Ă©tonnĂ© de s'apercevoir que les deux Ă©tudiants se connaissaient. Et ce, depuis un temps lointain ; le collĂšge les avait vu ensemble, mais un dĂ©mĂ©nagement avait marquĂ© leur sĂ©paration, aprĂšs huit annĂ©es, pratiquement, passĂ©es Ă faire les quatre cents coups.
Plusieurs souvenirs revinrent, faisant réapparaßtre une complicité disparue, des sentiments noyés dans les larmes du départ.
La fĂȘte battait son plein, lorsque Sophia ouvrĂźt le cidre portĂ© par Adrian. Celui-ci, se retourna vers Emma, un sourire en coin. Cette derniĂšre le lui rendit, comprenant le signal silencieux qu'y en dĂ©coulait.
La majoritĂ© des conviĂ©s partie, le trio rangeait sans broncher. Le plus gros nettoyĂ©, la maitresse de maison, convint les deux derniers Ă rester dormir. L'homme accepta aussitĂŽt, ce fĂ»t une autre paire de manche pour la jeune femme, qui finĂźt tout de mĂȘme par opiner Ă son tour. DĂ©pliant le canapĂ© de son studio, Sophia distribua couverture, oreiller et tout le nĂ©cessaire de toilette.
Nonobstant, une fois couché, elle tomba telle une souche. Laissant les deux camarades seuls.
â â â
Le sommeil impossible, Emma se remémora la scÚne d'annonce du petit couple.
Elle avait prĂ©tendu ĂȘtre la plus heureuse pour son amie -car Sophia Ă©tait sa meilleure amis, celle Ă qui Emma racontait tout, les bons moments comme les coups durs ; la personne avec laquelle elle partageait tout, qu'elle avait appris Ă se lĂącher, Ă rire pour de vrai et Ă ne pas retenir ses larmes quand ça n'allait pas. Mais au fond d'elle-mĂȘme, Emma ne lui souhaitait qu'une chose : qu'il la laissa tomber. Puis la jeune femme s'Ă©tait sentie mal Ă la seule pensĂ©e de cela, Ă la pensĂ©e de retrouver Sophia en pleure devant chez elle, alors que c'Ă©tait grĂące Ă Sophia qu'Emma n'avait pas sombrĂ©e lorsqu'il y a un an son copain du moment l'avait plaquĂ©.
Avec le sourire, Emma lui avait alors répondu : « J'espÚre que ça se passera mieux que moi. » Elles avaient ensuite passé la soirée à rire avec Adrian.
Les souvenirs pleins la tĂȘte, Adrian tournĂ© sans parvenir Ă s'endormir. Il Ă©tait surexcitĂ©, une rĂ©elle complicitĂ© l'unissait toujours Ă Emma, malgrĂ© le temps et la distance. Il en Ă©tait fier. Adrian pensait qu'elle l'aurait dĂ©testĂ©, bien au contraire, comme avant il savait toujours la faire sourire, la faire rougir comme une Ă©crevisse. Il n'avait pas oubliĂ© qu'elle Ă©tait chatouilleuse. Il n'avait pas non plus oubliĂ© ce qui la rendait triste, les Ă©vĂšnements qu'il suffisait d'Ă©voquer pour qu'Emma fasse la tĂȘte. Mais heureusement, Adrian connaissait encore le secret pour la faire passer, de par ses blagues dĂ©biles sans queue ni tĂȘte, ses expressions qui feraient culpabiliser un ours enragĂ©.
Tous deux, Ă©veillĂ©s, en venaient Ă la mĂȘme conclusion : MĂȘme s'ils n'Ă©taient plus ensemble, rien n'avait changĂ©, ils n'avaient pas changĂ©... Leur amour mutuel n'avait Ă©galement pas bougĂ©...
Le temps passa, lentement, aucun ne dormaient. Le silence rĂ©gnait. Emma tourna la tĂȘte -ni vue, ni connue- c'est alors qu'elle remarqua qu'Adrian la fixait avec intensitĂ©. Les yeux dans les siens, il ne dĂźt pas un traĂźtre mot, rien. Elle l'imitait. Les minutes continuĂšrent de s'Ă©grainer. Rien ne bougea. D'un coup pourtant, Emma vĂźt inspirer plus fortement Adrian, qui se releva sur les coudes. Sans l'avoir quitter du regard elle ouvrĂźt la bouche. Un doigt se posa sur ses lĂšvres, elle ne comprenait plus rien, lui non plus. Encore une fois l'Ă©tudiante le regarda, le questionna en silence. Rien, il ne dĂźt rien.
Soudain il lùcha les pupilles féminines de son regard oppressant et le posa sur la jeune endormie, le ramenant derechef à Emma. Des mots se formÚrent en un murmure:
« - Pourquoi s'est-on séparé? Je n'ai jamais cessé de t'aimer! Aujourd'hui encore... »
Emma ne sĂ»t pas quoi rĂ©pondre. Elle attendĂźt. Le silence se fĂźt de nouveau. La jeune femme dĂ» surement rĂȘver, cependant, une fois de plus, il s'exclama Ă voix basse:
« - Pourquoi? Dis-moi pourquoi! S'il te plait... Ce n'était donc qu'à cause de ce piÚtre déménagement ? Tu savais que je n'avais pas le choix ! Je devais suivre mes parents... »
« - Je. Euh... Je n'en sais rien. » Sa voix fût plus faible sur la fin, elle non plus ne savait pas, elle aussi, elle aurait souhaité savoir pourquoi. Mais elle n'avait pas les réponses à toutes ces questions.
Ainsi Adrian se recoucha Ă cĂŽtĂ© d'elles -Sophia et Emma-, comme si de rien n'Ă©tait. Emma ne trouva que plus dur la recherche de sommeil, de mĂȘme pour l'homme. Fixant le plafond de la chambre Ă coucher, Emma cherchait les rĂ©ponses au "pourquoi ?", sans rĂ©sultats. Tout d'un coup elle sentĂźt sur sa peau une larme couler, alors une autre main effleura sa joue et balaya l'eau perlĂ©. Rien qu'Ă cela, le malaise se dissipa un peu la laissant tranquille quelques instants. 'Il me regardait toujours' se dĂźt-l'Ă©tudiante. Tournant une nouvelle fois la tĂȘte vers Adrian, il lui sourĂźt, elle le lui rendĂźt.
« - J'ai vu ton film. Il est bien. » Il rapprochait son visage, encrant ses yeux en Emma.
« - Merci, mais ce n'est qu'une adaptation. Pas l'Ćuvre originelle. Elle ne s'achĂšve pas ainsi. Le producteur Ă modifier le dernier acte pour faire plus 'in Love'. »
« - L'ultime chapitre modifié ? Dans ce cas comment aurait-il dû se clore ? »
« - Lucas et Rose restent seulement amis, pour le bien d'Anaïs. C'est la plus belle fin qui soit selon moi. »
« - Mais tu sais bien que dans les livres les amoureux finissent toujours ensemble Ă la fin de l'histoire!Âč» FinĂźt-il tout se serrant contre elle, mĂȘlant ainsi leurs souffles.
« - Pas dans les miennes. Pour ma part l'amitié prime à l'amour que cela soit romanesque ou bien réel. » Conclût-elle en le repoussant sans bruit de la main.
Adrian ne fĂźt plus un geste, se recoucha contre Sophia le plus naturellement possible. Emma examina son interlocuteur, Ă©tait-il vexĂ© ? ...ou peut ĂȘtre triste ? Dans l'obscuritĂ© elle ne percevait pas vraiment la nuance. Elle opta nĂ©anmoins pour la premiĂšre solution. Fermant les yeux, elle parvĂźnt, enfin, Ă dormir. Le cĆur un peu lourd mais la conscience en paix ; se promettant que demain lorsqu'elle se lĂšverait Sophia ne saurait rien de cette nuit.
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