Je me souviens que cette nuit-là, tout avait basculé, mais pas de la façon que j'aurais imaginé. La pluie frappait contre les fenêtres, comme si elle voulait forcer l'entrée, rendant l'atmosphère encore plus étouffante. Je fixais la porte de la chambre, mon cœur battant la chamade, sans pouvoir faire autre chose que d'attendre. Quelque chose clochait, mais je ne savais pas encore quoi.
« Qu'est-ce que tu fous là ? », la voix d'Ignace claqua dans le silence, sèche, sans la moindre trace de bienvenue.
Je ne bougeais pas, même si l'envie de fuir me prenait soudainement. J'aurais dû savoir qu'il ne serait pas ravi de me voir débarquer ainsi, mais je n'avais pas le choix. Pas cette fois.
« On devait attendre », ajouta-t-il, l'agacement suintant de chaque mot.
« Et alors ? », répliqua Dimitrie, son regard évitant le mien.
Ma gorge se serra. J'avais reconnu cette voix, et mon cœur sembla s'arrêter pendant une seconde. Comment est-ce possible ?
C'était comme entendre un fantôme, une voix que je n'aurais jamais pensé entendre à nouveau. Mon corps se mit à trembler alors que je m'efforçais de comprendre ce qui se passait. Je savais que c'était impossible. Cette voix appartenait à quelqu'un que j'avais enterré dans mes souvenirs. Quelqu'un que j'avais pleuré.
Sans même réfléchir, mes jambes m'entraînèrent dans la chambre voisine. J'avais besoin de voir par moi-même. Ce que je découvris me coupa le souffle. Là, devant moi, se tenait mon frère. Allan. Vivant.
Je restai clouée sur place, le sang quittant mon visage en une seconde. Comment...?
« Allan... tu es en vie... »
Les événements tournaient dans ma tête comme un tourbillon sans fin. Comment tout avait-il pu basculer aussi vite ? J'avais cru mon frère mort. Disparu sans laisser de traces il y a de ça un mois, et maintenant il était là, devant moi, comme si rien ne s'était passé. Mais c'était loin d'être le cas.
Ignace se tenait près de la porte, le visage fermé, tandis que Dimitrie, silencieux, gardait ses distances. Une tension palpable flottait dans l'air, comme une menace invisible, prête à exploser à tout moment.
Il y a à peine quelques minutes, je me terrais dans une baignoire miteuse, persuadée que ma fin approchait. Osnel et Chris, ces criminels qui voulaient me vendre, m'avaient réduite à l'état d'une vulgaire marchandise. J'étais perdue, dévastée. Maintenant, tout semblait encore plus incompréhensible.
« T'as vachement maigri », lança Allan, un mélange d'inquiétude et de tendresse dans la voix.
Je tentais de répondre, mais les mots restaient coincés dans ma gorge. J'alternais mon regard entre mon frère et Ignace, cherchant des réponses dans leurs yeux. Allan avait changé lui aussi. Ses joues étaient creusées, son corps amaigri. Il avait pris des années de souffrance en si peu de temps. Son regard, autrefois si vif, était devenu terne, marqué par quelque chose que je n'arrivais pas à saisir.
Dimitrie, quant à lui, sortit discrètement de la pièce, sans dire un mot, laissant Ignace seul avec nous. Il savait, lui aussi, que la confrontation était inévitable.
Allan s'approcha de moi et, sans prévenir, m'enlaça avec une force que je n'avais pas ressentie depuis longtemps. Un mélange de soulagement et de colère bouillonnait en moi.
« T'es vivant... » soufflai-je, incapable de croire à ce que je voyais.
« Ouais, j'ai survécu », murmura-t-il, avec un semblant de sourire.
Je me détachai doucement de lui, le regardant comme si je le voyais pour la première fois. Il avait été là, tout ce temps. Vivant. Et pourtant, je l'avais cru mort. Mon regard se tourna automatiquement vers Ignace, une colère sourde commençant à monter.
« Pourquoi tu m'as laissé croire qu'il était mort ? », crachai-je, le ton rempli d'amertume.
Ignace resta impassible, les mains enfoncées dans les poches, ses yeux rivés sur moi. « On n'avait pas le choix, Gabriela. »
Je haussai un sourcil, incapable de comprendre. « On ? Comment ça, "on" ? Tu te fous de moi ? »