Alors que le roi mourrait à l'issue d'une énième guerre où tout opposait le royaume ilandais aux anglais, Draie fait l'ultime promesse à son père: défendre l'Iland jusqu'à son dernier souffle, afin de tenir leur éternel ennemi à l'écart. Mais le jour où les étrangers réapparaissent en la personne d'un jeune anglais, - Lenz Gomes - , menaçant de réduire à néant ses maints efforts pour protéger son peuple, la jeune reine n'a qu'une seule option: tout sauf négocier. Néanmoins, derrière ce physique de guerrier aussi tentant que séduisant, Draie y voit sa jeunesse oubliée au détriment du bien-être de son royaume, des sentiments qui pourraient bien déboucher sur une idylle cupide - celle que la morale, la loyauté et une promesse d'antan interdisent...
La grande porte du palais, précédemment hautement surveillée, céda assez facilement sous le mouvement des mains d'une femme affolée. Ignorant les tourbillonnements de sa robe salie par la terre et déchirée, elle gravît les principales marches assez rapidement. Et quand bien même la course lui semblait assez lente du fait de ses nombreuses blessures, elle eut très peu de temps à accuser son corps assez enrobé d'empêcher ses jambes d'avancer comme cela se doit. Les souvenirs d'une paix lointaine, même quelques heures plutôt, refluèrent rapidement. Les barrières émotionnelles cédèrent.
Les larmes dévalèrent ses joues à la même vitesse où elle parcourait les longs corridors. Bientôt, l'ébauche d'une porte se dessina devant elle. Encore un effort, se cria-t-elle intérieurement. Elle eut encore assez d'énergie pour regarder de parts et d'autres, devinant à travers les fenêtres grillagées, le cri des populations décimées. Son coeur se serra de plus belle alors qu'elle détourna le regard. Quand elle atteignît la porte, elle n'eut d'autre choix que d'y déposer des coups de poings tous aussi puissants les uns que les autres. La sueur commençait à perler sur son front. Ses mains devenaient de plus en plus moites et glissaient contre le bois sec. La fièvre la gagnait à très grande vitesse. Vite..., gémissait-elle plus fort tandis que des ombres se mirent à danser sous ses yeux. Elle ne devait pourtant pas s'arrêter! Pas avant avoir vu le roi. Mais ses forces étaient sur le point de la quitter. Non... pas maintenant...
Soudain, des cliquetis se firent entendre derrière la porte de bois. Un semblant d'espoir rejaillit dans le coeur de la jeune femme, telle une flamme de bougie reprenant de l'entrain après les déboires d'un vent capricieux. Elle sourît.
- Hortense!, hurla un vieillard apeuré, agrippant les bras de la jeune femme, l'empêchant de flancher.
Ladite Hortense sourit de plus belle, reniflant vigoureusement. Elle était si heureuse. Elle ne voulait pas finir dans de telles conditions, mais elle était assez joyeuse de se rendre utile avant que tout ne s'écroule. Elle allait réussir qu'importait l'issue. N'obtenant pour toute réponse que des gémissements fréquents de la part de la jeune femme, le vieillard prit connaissance de son état avant de la mener à l'intérieur, refermant sur eux la porte à double tour. Les autres occupants de la pièces se levèrent instantanément, les yeux écarquillés, se précipitant pour venir en aide à Hortense. Cette dernière se laissa installer sur une chaise toute faite de bambous, le regard hagard.
- Mon roi, soupira-t-elle, impatiente de faire sa commission. La reine m'envoie vous dire que la cité vient de tomber...
Le vieillard fronca les sourcils, l'air interloqué. Mais il se départit bien vite de cette mine. Il ferma instantanément les yeux et pria en son for intérieur. Ainsi, c'était définitif. La cité était prise. Il le savait! Il l'avait toujours su. Comment ne l'aurait-il pu, d'ailleurs? En sa position de roi, il était censé tout savoir, -du moins presque-, et de ce fait, défendre vaillamment ses sujets. C'était pour ça qu'il avait prêté serment et était monté sur ce trône. Ses ancêtres avaient su garder le royaume dans la paix, tandis que lui à son tour, le faisait s'assombrir dans le chaos. Si seulement il avait su... D'autres sujets le lui avaient rapporté plus tôt dans la journée. La citadelle était partie en fumée, puis la tour du nord-est. Et pris de courts, il n'avait eu d'autre choix que d'envoyer au front, de jeunes soldats, dépourvus de la moindre formation, pour combattre des ennemis dont ils n'avaient même pas conscience.
Il souffla d'effroi alors qu'il revoyait encore mentalement de jeunes hommes et de jeunes enfants à peine entrés dans la fleur de l'âge, abandonner pères et mères au détriment d'une guerre dont lui-même ignorait l'issue. C'était cruel. Seulement, une chose lui tenait encore à cœur et il tenait absolument à savoir.
- Et la reine?, devança un jeune homme derrière le roi, effrayé de ce que le teint de la jeune Hortense devenait de plus en plus livide.
Elle hoqueta longtemps, toussotant et crachant du sang. Le liquide vermeille, atterrissait lamentablement en partie dans les habits du roi. Lui-même ne s'en souciait pas assez, suspendu aux lèvres de celle qui allait irrémédiablement mourir. Les beaux habits pouvaient attendre et de toutes les façons cela n'avait plus d'importance. Pas plus que celle pour qui il pouvait bien passer l'éternité à s'inquiéter.
- Le cortège a été pris en embuscade..., avoua Hortense les yeux embués de larmes. Elle... elle a été...
Son regard sombra soudain. Elle fit un ultime effort afin de dire plusieurs mots de plus, pour achever sa mission, en vain. Son visage devint aussi blanc que les souliers du souverain. Désormais, elle saignait du nez. Les forces lui échappaient peu à peu, tandis qu'elle faisait de grands efforts pour demeurer consciente. Le roi secoua de la tête, son visage indifférent rivé sur le faciès de la moribonde:
- Un docteur...
Les jeunes gens derrière lui se regardèrent effarés. La peur se lisait sur leur visage. Et voilà que le roi faisait une requête. Que répondre à cela? Ils n'avaient ni la force, ni le courage d'articuler. Pourtant, l'un d'eux prit la parole:
- Le docteur le plus proche est à deux lieux d'ici, votre majesté, près de la tour nord-est. Et vous savez si bien, ô mon roi que...
- Assez!, coupa le vieil homme d'une traite.
- Il... ne sera... jamais là à temps, cracha Hortense prise d'un soudain mal. Laissez moi donc mourir. Mais avant, je voudrais vous dire une dernière chose... de la part de la reine...
Rassemblant les maigres forces qui lui restaient, Hortense plongea la main dans l'une des poches de sa robe et en sortit un présent ensanglanté. En un dernier effort, elle le mît dans les mains du roi, puis en un instant, elle expira et rendît l'âme.
***
L'odeur de l'encens emplît brutalement l'air, l'atmosphère devenant soudainement invivable. La fumée s'échappant des multiples trous du vieil encensoir, brouillaient la vue aux occupants de la petite pièce mi-sombre faisant office de chambre d'hôpital. Bientôt, des incantations résonnèrent derrière le rideau de nattes tressé à l'occasion pour séparer l'intérieur de l'extérieur. Des voix aigres mêlées à celles plus viriles et plus masculines s'amplifièrent de plus en plus jusqu'à résonner en une mélodie morose, synchrone et lugubre. À la porte, Draie se tînt la tête, fronçant les sourcils le plus longtemps possible, cherchant à échapper à ce qu'elle appelait depuis quelques minutes un «cauchemar». Cela durait depuis un certain temps et les bruits provenant de lointain, ébranlant la vieille bâtisse qu'ils occupaient en ce moment, ne la rassuraient pas plus que ça. Le royaume était en guerre, elle le savait et quand le valet de son père le roi, était venu la chercher de toute urgence deux jours plus tôt, le regard affolé et le teint aussi blanc que la porcelaine, elle avait vite fait de comprendre que quelque chose n'allait pas. Seulement, tous lui répétaient en chœur que tout allait bien. Elle ne savait plus quoi croire. Pourtant, son voyage s'était bien passé, et elle n'avait vu aucun signe de danger. Mais pourquoi ce sentiment de peine et d'amertume l'assagissait-elle autant? Et pourquoi n'avait-elle toujours pas vu père? Elle leva les yeux pour confronter du regard les trois jeunes femmes qui étaient assises juste en face d'elle. Mais dès que leur iris s'étaient croisés, elles avaient rendu les armes, baissant lamentablement la tête pour les deux premières, se triturant hâtivement les doigts quant à la dernière. Draie se tut malgré son coeur qui ne cessait de tambourirner dans sa poitrine. Elle dévia son regard vers sa gauche pour confronter son valet. Seulement, elle ignorait quoi tirer des propos d'un gringalet tremblotant comme une feuille morte au soir du printemps. La jeune femme serra les poings sur ses cuisses et trépigna d'impatience. Elle voulait savoir et en avait plus qu'assez d'attendre! D'un coup, elle se leva brutalement. Il était temps d'y mettre un terme; mais l'une des femmes l'imita dans sa précipitation, la coupant dans son élan:
- Non, Princesse! Vous devriez...
La jeune femme leva les yeux au ciel, peinant à garder son calme. Personne ne lui expliquait la raison pour laquelle elle demeurait scellée à un banc aux tons moisis. Elle voulait des réponses, quitte à abuser de son statut de princesse.
- Je...
Soudain, le rideau de nattes fut vivement écarté, laissant apparaître sur le seuil, un vieil homme à la barbe longue, portant comme vêtement une tunique vermeille agrémentée de quelques perles dispersées et maintenues dans le tissu un peu partout, formant un motif des plus incompréhensibles. Sa peau aussi ridée que celle d'un éléphant, paraissait aussi colorée que celle d'un nouveau-né et sa respiration tout aussi critique, inquiétèrent bien vite Draie. Ses yeux perçants étudièrent les individus sous tpus les angles, avant que ses mains tremblotantes ne viennent caresser sa toison blanchie par l'âge. D'une voix étranglée, il demanda:
- Où est la princesse de notre souverain? Draie s'empressa de se précipiter auprès du vieil homme.
- C'est moi, murmura-t-elle inquiète. Que se passe-t-il? Et où est mon père?
Le vieux la considéra un moment, avant d'agiter la main dans sa direction. Il lui ordonna silencieusement de le suivre, tandis que lui-même disparaissait de nouveau derrière le rideau. Draie n'eut la force de regarder ses compagnes et emboîta à son tour le pas à celui qu'elle pensait être un druide. Bien vite, la noirceur et la bassesse du plafond de la pièce lui vrillèrent les yeux et elle s'obligea à se mettre sur ses genoux, effarée par la possibilité de ne pouvoir être à son aise sur ses deux jambes.
- Où est mon..., s'interrompit la fille.
Les mains de Draie se mirent à trembler à leur tour, sa respiration se faisant hachée; et les larmes brouillaient sa vision. Draie n'eut plus le courage de se retenir. De petits cris étouffés se mirent à lui échapper tandis qu'un homme à sa gauche se contentait de lui murmurer des paroles apaisantes. La princesse se couvrît les lèvres de ses frêles mains, désarçonnée par la vision d'un homme couché à même le sol, son dos séparé de la terre mouillée par un simple pagne, sûrement tissé à la va-vite. Son regard semblait éteint tandis qu'il ne lui restait que la peau sur les os. La couverture qui le couvrait jusqu'au torse, laissant s'échapper ses bras, paraissait lui peser au vu de sa poitrine qui peinait à se soulever. Les cheveux qu'elle connaissait autrefois noirs et assez fournis, n'existaient presque plus sur un crâne mis à nu. Draie en fût convaincue: le roi, son père, était gravement malade. Elle émit un gémissement pénible avant de se retourner vers le vieil homme qui l'avait mené en ces lieux:
- Que lui est-il arrivé ?
- Princesse, relaya l'homme à son opposée, votre royaume a été attaqué par des étrangers. En allant négocier, votre père à été touché.
- De quoi parlez-vous?, tenta de comprendre Draie alors qu'une douleur sans nom s'emparait de son être.
L'homme baissa honteusement la tête. Mais il la releva bien vite pour fournir une réponse qu'il espérait assez convaincante:
- Princesse Draie, votre peuple a besoin de vous. Votre père n'est plus en état de diriger. Les anglais ont tout détruit. Vous êtes la seule héritière et... c'est la raison de votre présence parmi nous en ce jour. Je crains que les jours de votre père soient comptés...
Un violent toussotement venant du grabataire, interrompit le jeune homme. Draie se traîna précipitamment sur ses genoux et se rapprocha du roi. Elle n'avait cure de les voir écorchés à vif. La santé de son père était beaucoup trop préoccupante. Ce dernier venait d'ouvrir les yeux. Ses iris se promenèrent longtemps au plafond lezardé, avant de se poser lamentablement sur la personne de sa fille. Draie lui sourit péniblement, refoulant de justesse une larme. Elle lui murmura, s'emparant de sa main défraîchie:
- Père...
Ne pouvant dire plus, la jeune fille baissa le regard. Elle avait envie de fuir, mais ce n'était nullement possible. Son père était devenu méconnaissable. Son coeur se serra inmediatement et des regrets s'installèrent dans son esprit. Si seulement elle n'était pas partie! Elle aurait pu rester aux côtés de son père. Mais à quoi pouvait servir une princesse âgée d'à peine douze ans? Rien, évidemment. Mais le pire était encore plus effrayant. Comment une fille de douze ans pouvait diriger un royaume entier? C'était simplement du suicide...
- Draie, appela faiblement le roi. Draie...
- Père, je suis là. Rassurez-vous, je suis là.
Le vieil homme tenta un sourire, mais seule la lèvre inférieure s'écartait lentement, laissant apparaître une gencive édentée. Le sang de Draie ne fît de nouveau qu'un tour. Il fallait un médecin... avant qu'il ne soit trop tard. Le pays d'où elle venait... Ils seraient bien capable de le sauver! Elle coula de nouveau un regard vers le druide, mais le roi resserra de nouveau ses doigts, et elle fut obligée de lui porter toute son attention. Le roi articula:
- Tu vas prendre ma place, Draie.
- Rassurez-vous, père, contra Draie. Personne ne prendra votre trône. Je ferai mander un toubib et vous retrouverez votre santé...
Le roi agita négativement la tête, les lèvres tremblantes:
- Écoute-moi, Draie... Il ne me reste plus assez de temps. Je t'ai fait appeler parce que c'est la seule solution que j'ai trouvé.
- Père, vous dites n'importe quoi. Vous vivrez!
- Je regrette de t'arracher tout le bonheur auquel tu étais prédestinée... mais j'espère bien faire...
Le roi déglutit douloureusement, laissant une larme courir sur sa peau ridée:
- Draie, tu es mon unique fille. Il désigna faiblement du doigt, l'homme à son opposé.
- Il y a pas très loin d'ici, une grotte où le reste de notre peuple s'est réfugié. Ken va t'y conduire. Tu peux avoir confiance en lui. Tu vas régner sur le peuple et le faire prospérer de nouveau...
- Mais, père!
- Tu seras une bonne reine, Draie. Ne t'inquiète pas... Mais fais-moi une promesse, ma fille.
Les larmes aux yeux, Draie se pinça les lèvres. Elle n'avait pas envie que les choses s'achèvent ainsi. Mais son père le désirait visiblement. Il l'obligeait à faire l'impossible. La jeune fille renifla difficilement et hocha la tête, invitant son père à continuer.
- Je suis désolé, Draie. Ta mère et moi avons fait ce que nous pensions être bien pour le royaume. Mais ces anglais ne nous laissent pas le choix. Promets-moi, Draie, que jamais ces étrangers ne viendront à bout de notre royaume. Promets moi que tu les combattras jusqu'à ton dernier souffle...
Le sol trembla dangereusement encore une fois. Les vases posés sur une petite commode de bois, vacillèrent jusqu'à se briser sur le sol. Le bruit de machines de guerre se faisaient de plus en plus insistants. Les cris de panique s'amplifiaient encore et encore. Draie battit longuement des cils et pensa un temps soit peu à sa vie d'avant. La paix... Mais ceci était loin derrière elle. Son destin venait d'être scellé par une guerre sans merci. Et voilà qu'elle devait à son tour s'y jeter corps et âme. Draie se mordit la lèvre.
- Princesse, héla faiblement le druide, il ne lui reste plus beaucoup de temps.
Comme pour approuver ses dires, le roi se mit à tousser vivement. Bientôt, un filet de sang apparut à la commissure de ses lèvres. Son torse se soulevait à un rythme irrégulier, alors qu'il serrait encore plus les doigts de sa fille. Il darda sur elle ses iris, et Draie comprit immédiatement. Il était temps. Le visage trempé de larmes, elle se pencha et offrit un dernier baiser à son père, avant de souffler à son oreille:
- Je vous promets, père, de ne laisser à ces chiens, aucun répit...
Chapitre 1 Prologue
10/02/2021
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