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Le Royaume de SĂ©raphin

Le Royaume de SĂ©raphin

MĂ©lodie Ducoeur

5.0
avis
279
Vues
15
Chapitres

Harcelé depuis tout petit en raison de sa différence, Dimitri, dix ans, pensait en finir avec la vie en sautant d'un pont. Il était loin d'imaginer qu'il allait se retrouver dans un monde parallÚle. Timéo, lui, est un chérubin. Comme Dimitri, il découvre qu'il a été spécialement recruté pour accomplir une mission sur la Terre. Dotés d'un superpouvoir, arriveront-ils à l'apprivoiser pour apporter du réconfort aux Humains ? De leur cÎté, les Humains comprendront-ils qu'une main tendue peut bien souvent éviter des drames et qu'au milieu de douleurs, le bonheur est parfois à portée de main?

Chapitre 1 Prologue

Prologue

Je m'appelle Gaëlle, mon fils Dimitri. Il a 10 ans. C'est un garçon qui n'attire pas la sympathie en raison de son TDAH (Trouble Déficitaire de l'Attention avec ou sans Hyperactivité). A cause de ce trouble trÚs complexe, il est impulsif, distrait et hyperactif. J'ai l'impression de passer ma vie à le défendre.

« Non, Madame, il n'est pas impoli ! S'il ne vous a pas dit bonjour, c'est parce qu'il a été distrait par la libellule qui est venue virevolter devant lui. »

Ou encore :

« Non, Monsieur, il n'est pas mal élevé ! S'il nous a coupé la parole, c'est parce qu'il a des difficultés à contrÎler son impulsivité. »

DĂšs le plus jeune Ăąge, comme toutes les mamans, je lui ai expliquĂ© qu'on doit saluer les gens qui passent et attendre son tour avant de prendre la parole. Comme toutes les mamans, je le lui ai mĂȘme rĂ©pĂ©tĂ© deux fois, trois fois, dix fois. Les autres enfants ont bien intĂ©grĂ© cette notion depuis tout petits. Pas le mien ! MĂȘme au bout de dix ans, il oublie encore souvent. Alors, je le lui rĂ©pĂšte tous les jours sans relĂąche en lui expliquant qu'il faut vraiment qu'il se force Ă  ĂȘtre attentif car tout le monde le trouve mal Ă©levĂ©. Il a bien compris mon fils. Il n'est pas plus bĂȘte que les autres. Il a envie de bien faire. Il a envie que sa maman soit fiĂšre de lui. Alors, il essaie de se le rĂ©pĂ©ter en boucle pour que ça devienne un rĂ©flexe et petit Ă  petit, il oublie un peu moins. Il essaie d'ĂȘtre plus attentif aux personnes qu'il croise. Mais parfois, mĂȘme souvent, son esprit vagabonde malgrĂ© lui. Mille idĂ©es se bousculent dans sa tĂȘte sans qu'il puisse les contrĂŽler.

Comme il est hyper-sensible Ă  tous les stimuli sonores et visuels, imaginez ce qui peut se passer dans son cerveau lorsqu'il est en classe : « tiens, je viens d'entendre mon copain renifler. Il a peut-ĂȘtre pris froid hier quand nous Ă©tions en train de jouer dans la piscine. Ah, la piscine ! Comme on s'est bien amusĂ©s. Quel temps fait-il, au fait ? On va peut-ĂȘtre pouvoir y retourner aprĂšs l'Ă©cole...mince, la maĂźtresse vient de me poser une question. Devant son insistance, j'essaie de me souvenir...de quoi pouvait-elle bien parler ? Ah oui ! Je sais : elle parlait des rĂšgles de conjugaison...moi, le français, ça ne me passionne pas. Je prĂ©fĂšre les sciences comme les planĂštes par exemple :

MaĂźtresse, tu sais que Saturne a un anneau et que...

Je vois bien à son regard fùché que ce n'est pas la réponse qu'elle attend ! Ah oui, la conjugaison !

C'est quoi déjà la question ?

Elle me la répÚte patiemment mais autour de moi, mes camarades rigolent...mon esprit s'évade de nouveau...mince, je crois que la maßtresse attend toujours ma réponse. Mais je ne m'en souviens plus. »

C'est compliqué aussi pour lui de se faire des amis. Il est hyperactif, a du mal à patienter et peut bousculer un camarade pour passer devant lui en raison de son impulsivité ! Bref, c'est le genre d'enfant qu'on trouve insolent et mal élevé, qu'on a plutÎt envie de rejeter que de s'en faire un ami quand on est un enfant. Le genre de mÎme qu'on a plutÎt envie de punir et éduquer quand on est un adulte.

Je viens de recevoir un appel de l'institutrice de Dimitri. Alors que je suis assise au volant de ma voiture, ses mots rĂ©sonnent en boucle dans ma tĂȘte : « votre fils est pris en charge par les pompiers. Il y a eu une bagarre Ă  l'Ă©cole ». Je n'ai pas plus d'explications, je sais juste qu'il saigne au niveau de la tĂȘte. Mille questions se bousculent dans la mienne : quelle est la gravitĂ© de sa blessure ? est-ce qu'il faut aller dĂ©poser plainte en gendarmerie ? est-il Ă  l'origine de la bagarre ?

Ce n'est pas la premiĂšre fois qu'il prend des coups mais c'est la premiĂšre fois qu'on me parle de bagarre et cela ne me rassure pas.

Mon pauvre garçon ! J'espÚre qu'il ne lui est rien arrivé de grave.

Je parle toute seule dans la voiture comme pour chasser mes angoisses, me persuader que tout va bien mais je suis trĂšs inquiĂšte. Vu qu'il attire plutĂŽt la haine, c'est possible qu'on s'en soit pris une nouvelle fois Ă  lui. Mais comme l'institutrice m'a parlĂ© de bagarre, je ne sais pas trop quoi en penser. J'espĂšre qu'il n'a pas portĂ© de coups avant d'ĂȘtre blessĂ©. Ce n'est pas dans ses habitudes, mais sait-on jamais! J'imagine que si on l'a cherchĂ©, il a trĂšs bien pu s'Ă©nerver. Il y a peut-ĂȘtre d'ailleurs un ou plusieurs autres enfants blessĂ©s. En fait, je ne sais rien du tout. L'enseignante ne m'en a pas dit davantage. Je peux donc tout imaginer. Il a aussi pu prendre un coup perdu dans cette rixe s'il Ă©tait au mauvais endroit au mauvais moment.

Plus j'approche de l'Ă©cole, plus j'angoisse. RĂ©capitulons : il a dix ans, trĂšs peu d'amis et attire plutĂŽt la haine que la sympathie. J'ai donc de bonnes raisons d'ĂȘtre stressĂ©e. Je ne peux m'empĂȘcher d'imaginer le pire mĂȘme si j'essaie de me rassurer. AprĂšs tout, l'institutrice m'a seulement dit qu'il saignait. Oui, mais Ă  la tĂȘte. Et puis, les pompiers sont lĂ . Ce n'est peut-ĂȘtre pas si anodin que ça. Je ne sais pas, en fait. Je suis pressĂ©e d'arriver sur place.

A la vue de l'ambulance, mon sang ne fait qu'un tour. Je vois plusieurs pompiers et le mĂ©decin qui s'affairent autour d'un brancard...puis j'aperçois mon fils. Il a le visage en sang et les yeux hagards. J'en ai la nausĂ©e. Je me prĂ©cipite vers lui, ma vue se brouille, les larmes perlent Ă  mes yeux. Je me sens submergĂ©e par l'Ă©motion. J'ai une boule dans la gorge qui m'empĂȘche de parler. Dans un souffle, je crie :

Dimitri !

J'ai besoin qu'il me rĂ©ponde. Il a l'air si frĂȘle et si mal en point au milieu de ce brancard bien trop grand pour lui. Comme il a l'air de souffrir, mon fiston ! Je me rappellerai toujours de cette scĂšne. Je sais qu'elle va s'imprimer au fer rouge dans ma mĂ©moire, que ce que je ressens Ă  cet instant prĂ©cis sera gravĂ© Ă  jamais dans ma chair et dans mon sang.

Il tourne la tĂȘte vers moi mais je l'entends Ă  peine. Les battements de mon cƓur rĂ©sonnent dans mes oreilles et assourdissent les sons. D'une toute petite voix, il murmure:

Ça va Maman. T'inquiùte pas !

J'aimerais bien, mais je suis en panique. Je ne lui dis pas bien Ă©videmment. J'essaie de ne pas trop le montrer, de garder mon calme, mais dans ma tĂȘte, les pensĂ©es se bousculent et s'entrechoquent. J'ai une envie irrĂ©sistible de le prendre dans mes bras, de le serrer fort contre mon cƓur et de soulager ses blessures avec mes cĂąlins.

Mon p'tit bonhomme ! Je t'aime !

Ça me fait mal de le voir ainsi. Je ne peux retenir mes larmes. Le mĂ©decin qui l'a pris en charge s'adresse Ă  moi :

Bonjour Madame. Ne vous tracassez pas, il est entre de bonnes mains. Montez avec nous ! On l'emmĂšne Ă  l'hĂŽpital pour des examens. On va vous expliquer.

J'ai envie de croire que tout va bien mais j'ai peur. Je suis angoissĂ©e mĂȘme. Je me contente d'acquiescer, incapable d'exprimer le moindre mot. Alors que nous nous dirigeons vers l'hĂŽpital le plus proche, l'anesthĂ©sie semble faire son effet. Mon angoisse diminue Ă  mesure que Dimitri se dĂ©tend. Il a l'air de moins souffrir. Les pompiers me rassurent sur son Ă©tat. Une fois arrivĂ©s Ă  l'hĂŽpital, l'Ă©motion me submerge Ă  nouveau mĂȘme si je sais qu'ici il sera bien soignĂ©. Je l'abandonne aux urgentistes. Ils lui font passer une panoplie d'examens qui, heureusement, ne rĂ©vĂšlent aucun traumatisme.

Quelques points de suture plus tard, je peux enfin appeler mon mari pour le rassurer. Nous pouvons rentrer Ă  la maison. Nous devons simplement ĂȘtre vigilants pendant la premiĂšre nuit en raison du traumatisme crĂąnien. A la moindre alerte, nous devrons retourner aux urgences. Je suis soulagĂ©e qu'on puisse quitter l'hĂŽpital. J'ai eu tellement peur. Reste Ă  savoir ce qui s'est rĂ©ellement passĂ© et dans quelles circonstances il a Ă©tĂ© blessĂ©.

Son papa nous a rejoints. Dans la voiture, Dimitri nous explique:

J'Ă©tais tranquillement assis dans un coin de la cour de rĂ©crĂ©. Les garçons de ma classe Ă©taient en train de jouer au foot. Le ballon s'est arrĂȘtĂ© Ă  mes pieds, mais moi, je ne l'avais mĂȘme pas vu car j'Ă©tais distrait. Tu sais bien Maman, j'Ă©tais encore dans la lune, comme tu dis.

Un sourire illumine mon visage. Je reconnais bien là mon petit garçon et son sens de l'humour. Il poursuit son explication :

C'est alors que MichaĂ«l m'a demandĂ© de lui renvoyer ce ballon mais le temps que je rĂ©agisse, un autre copain, StĂ©phane l'avait dĂ©jĂ  rĂ©cupĂ©rĂ©. Et tout Ă  coup, avant mĂȘme que j'aie le temps de rĂ©aliser ce qui se passait, MichaĂ«l m'a poussĂ© trĂšs fort et je suis tombĂ©. Je me rappelle qu'il me donnait des coups de pied alors que j'Ă©tais au sol. Je lui criais d'arrĂȘter mais il Ă©tait dĂ©chainĂ©. Ensuite, je ne me souviens pas trop. Je me rappelle que j'ai mis ma main Ă  ma tĂȘte et quand j'ai vu qu'il y avait du sang sur mes doigts, j'ai failli m'Ă©vanouir.

Oui, ta tĂȘte a heurtĂ© le portail quand tu es tombĂ©. J'ai vu des traces rouges dessus quand je suis arrivĂ©e Ă  l'Ă©cole. Tu sais, j'Ă©tais vraiment inquiĂšte quand je t'ai vu sur le brancard avec le visage ensanglantĂ©.

Oui, mais maintenant, tout va bien, intervient mon mari.

Oui, je sais. Mais ça aurait pu ĂȘtre beaucoup plus grave. Tu crois que MichaĂ«l en a conscience ?

Je pense, oui. La maßtresse m'a appelé. Elle m'a expliqué qu'il était choqué et qu'il s'était excusé. Il paraßt aussi qu'il était inconsolable quand Dimitri est parti en ambulance. Sa maman l'a d'ailleurs emmené chez le médecin.

Tu as raison. Il a dû avoir une bonne frayeur. J'espÚre que ça va lui servir de leçon.... Et à tous les enfants, aussi.

Cette version racontĂ©e par Dimitri concorde avec celle que l'institutrice a donnĂ©e Ă  mon mari. Je ne sais pas trop quelles suites nous devons y apporter. Il y a bien eu violence, certes. Mais finalement, Dimitri n'a pas de sĂ©quelles. Il y a eu plus de peur que de mal et aprĂšs tout, l'Ă©cole va dĂ©jĂ  sanctionner ce gamin. Ce n'est sans doute pas la peine qu'on en fasse toute une histoire. Se rĂ©signer? Peut-ĂȘtre pas non plus ! Mais je pense qu'il est plus important de sensibiliser les Ă©lĂšves Ă  la diffĂ©rence plutĂŽt que de les rĂ©primander. Il est sans doute plus judicieux de leur expliquer pourquoi Dimitri est ainsi, qu'il ne le fait pas exprĂšs. Que ce n'est pas une raison pour le rejeter, le punir voire mĂȘme de le haĂŻr.

J'ai envie de leur montrer l'autre cÎté de Dimitri, celui qu'on ne voit pas au premier abord, celui qui en fait un petit garçon si exceptionnel.

Tu sais Maman, m'a-t-il dit un jour : dans ma tĂȘte, il y a un Dimitri Delalune. Il vit sur une autre planĂšte et dans son univers, il lui arrive toujours plein de mĂ©saventures car il est Ă©tourdi et maladroit.

Mon gamin a une imagination débordante et un sens de l'humour particuliÚrement développé. Le moment est sans doute venu de le montrer à ses camarades de classe. Cet incident est l'occasion de leur faire comprendre qu'on ne doit pas juger au premier regard. J'espÚre qu'ils vont comprendre et qu'ils seront plus tolérants ensuite.

Quelques jours plus tard, je sais exactement ce qu'on pourrait proposer Ă  la classe. J'en parle avec Dimitri et lui propose de mettre en scĂšne ce Dimitri Delalune qui lui ressemble beaucoup.

J'adore l'idée, me répond-il enthousiaste. Tu vas voir, Maman, ce Dimitri, c'est vraiment le roi des gaffes !

A cette idĂ©e, je le vois sourire. Ça y est : je l'ai perdu. Je crois qu'il est au parti au royaume de Dimitri Delalune. Il est bien loin dans ses pensĂ©es et je n'ai pas envie de le rappeler. Il a l'air si bien lĂ -haut. MĂȘme si je vais devoir l'aider Ă  rassembler ses idĂ©es foisonnantes, en faire le tri et canaliser son imagination, je sais qu'avec son sens de l'humour et son goĂ»t prononcĂ© par l'auto-dĂ©rision, le rĂ©sultat risque d'ĂȘtre pas mal du tout. J'en suis mĂȘme persuadĂ©e. Il sort de sa rĂȘverie :

Je sais, on pourrait me filmer dans les tùches de tous les jours et moi, je joue Dimitri Delalune pour qui rien ne se passe comme prévu.

C'est tout Ă  fait ce que je pensais. Tu es formidable mon p'tit bonhomme. Tu as compris exactement ce que je voulais.

Il ne prĂȘte pas attention Ă  ma rĂ©ponse comme d'habitude, mais je sais qu'il ne le fait pas exprĂšs. Il reprend :

Tu vois, par exemple, quand il se lĂšve le matin, il oublie d'enfiler son pantalon et du coup, quand il arrive Ă  la salle du petit dĂ©jeuner, sa servante est toute gĂȘnĂ©e et elle rougit !

Il est mort de rire en Ă©voquant cette scĂšne. Je suis une nouvelle fois bluffĂ©e par la vitesse Ă  laquelle il peut inventer des histoires. C'est comme si, dans sa tĂȘte, les idĂ©es bouillonnaient d'impatience dans l'attente de pouvoir sortir Ă  la moindre occasion. Sans doute le cĂŽtĂ© hyperactif de son TDAH. Il m'Ă©pate, il m'impressionne ! Quand je pense que je peux sĂ©cher devant une feuille blanche pendant des heures en espĂ©rant trouver l'inspiration ! Une chose est certaine : ce n'est pas de moi qu'il a hĂ©ritĂ© cette imagination dĂ©bordante et son esprit crĂ©atif.

Hyper-motivĂ© par l'idĂ©e de rĂ©aliser des courtes vidĂ©os pour amuser ses camarades de classe, il se met aussitĂŽt au travail. Il imagine dĂ©jĂ  leurs rĂ©actions et je le surprends Ă  plusieurs reprises en train de sourire. Ça me fait plaisir de le voir aussi enthousiaste. Je l'aime tant et je suis si admirative. Dommage que la plupart des personnes ne voient en lui qu'un enfant insolent. Il vaut tellement plus.

Il est trÚs à l'aise avec le logiciel de montage vidéo mais comme cela lui demande un effort considérable de concentration, je lui donne un coup de main. J'aime beaucoup ces instants partagés et la complicité qui s'installe entre nous. Il a tellement de talent, il est si drÎle et ses mises en scÚne sont si hilarantes que je m'amuse beaucoup. J'espÚre que ses camarades de classe, eux aussi, vont aimer. J'espÚre qu'ils comprendront mieux ses troubles et qu'ils seront plus tolérants envers lui à l'issue du visionnage de cette vidéo.

La fin de l'annĂ©e scolaire approche. Dimitri a pu prĂ©senter ses mises en scĂšne Ă  sa classe et l''institutrice m'a assurĂ© que les Ă©lĂšves avaient adorĂ©. Ils en ont pleurĂ© de rire et dĂ©sormais, ils ont tous envie d'ĂȘtre amis avec Dimitri. Elle-mĂȘme est impressionnĂ©e. Elle ne reconnaĂźt pas son Ă©lĂšve, celui-lĂ  mĂȘme qui d'habitude est si renfermĂ©, qui ne parle pas, qui a toujours l'air absent, dans son monde Ă  lui.

Depuis, un Ă©norme changement s'est opĂ©rĂ© au sein de l'Ă©cole. Dimitri est plus serein, plus enthousiaste au quotidien. Il a mĂȘme Ă©tĂ© invitĂ© Ă  l'anniversaire de MichaĂ«l, hier. C'est peu dire! Selon lui, il a passĂ© une trĂšs bonne journĂ©e. Je l'ai cru... mais, je commence Ă  en douter maintenant car je sais qu'il n'y avait pas que des Ă©lĂšves de sa classe Ă  cet anniversaire. Il y avait aussi des cousins de MichaĂ«l et il semblerait qu'ils n'aient pas vraiment apprĂ©ciĂ© Dimitri. Suite Ă  la diffusion de la vidĂ©o de Dimitri Delalune, je pensais que tout s'Ă©tait arrangĂ© pour lui. J'ai Ă©tĂ© bien naĂŻve. Alors, certes, oui, ça allait mieux Ă  l'Ă©cole mais je me rends compte que sa blessure Ă©tait bien plus profonde que je ne l'avais imaginĂ© ; qu'il a suffi d'un nouvel incident pour faire voler en Ă©clat tout ce que nous venions de bĂątir. Il allait bien, mais fragilisĂ© par des annĂ©es de harcĂšlement, un rien a suffi Ă  le faire chuter.

Le coup de fil que je viens de recevoir ne laisse planer aucun doute. Ce que je craignais depuis longtemps est arrivĂ©. Plus jamais, je ne pourrai le serrer dans mes bras, plus jamais je ne pourrai l'encourager Ă  s'adapter au monde qui l'entoure. Je n'ai pas rĂ©ussi Ă  suffisamment l'armer pour survivre dans cet environnement hostile. Aujourd'hui, il est parti dans son monde, de l'autre cĂŽtĂ©... du cĂŽtĂ© oĂč il fait toujours bon rire. Il s'en est allĂ© rejoindre son ami, le roi Dimitri Delalune, pour de passionnantes aventures.

Je suis terrassĂ©e. J'ai envie de hurler au monde entier que je les dĂ©teste, tous autant qu'ils sont. Tous ceux qui lui ont fait du mal. Tous ceux qui ont cru bon de lui rappeler sans cesse qu'il Ă©tait diffĂ©rent, qu'il Ă©tait impoli. Tous ceux qui lui ont rĂ©pĂ©tĂ© sans relĂąche qu'il devrait faire un effort pour se concentrer et arrĂȘter de bouger. Tous ceux qui ont prĂ©tendu qu'il mettait de la mauvaise volontĂ© Ă  la tĂąche, qu'il Ă©tait feignant et pleurnichard. Tous ceux qui l'ont harcelĂ©, qui ont jetĂ© son bonnet dans la poubelle, qui ont envoyĂ© des boulettes de papier dans son assiette, qui l'ont ridiculisĂ© en public. Tous autant que vous ĂȘtes, je vous dĂ©teste. Je vous DE-TES-TE. J'en deviens presque hystĂ©rique. Je pleure de rage et de tristesse. Mon fils est parti. Il Ă©tait mon rayon de soleil. Il n'est plus lĂ  pour Ă©clairer ma vie et rĂ©chauffer mon cƓur. J'ai froid. J'ai terriblement froid ! Mon cƓur se fige dans la glace ! Au fond de moi pourtant, je m'y attendais. Je savais qu'un jour, il pourrait passer Ă  l'acte mais j'avais osĂ© espĂ©rer que ça n'arriverait pas, que je serais capable de faire changer les mentalitĂ©s autour de lui. Mais la tĂąche Ă©tait immense, sans doute d'ailleurs pas Ă  taille humaine. J'avais espĂ©rĂ© le rendre assez fort pour encaisser toute cette violence gratuite. Je ferais bien d'admettre que ce n'Ă©tait pas possible. Mais, c'est plus fort que moi, j'ai ce sentiment d'Ă©chec profond. Aujourd'hui, j'ai fini de me battre. Mon Ă©ternelle angoisse prend fin en mĂȘme temps que sa vie. Je me sens vide. Il Ă©tait ma raison de vivre. Il me donnait l'Ă©nergie pour me battre. Que vais-je devenir dĂ©sormais sans lui Ă  mes cĂŽtĂ©s ? Je sais que je ne suis pas la seule Ă  vivre ce genre de situation mais je n'ai pas envie de penser aux autres aujourd'hui. Je suis Ă©goĂŻste. Je leur souhaite bien du courage dans cette Ă©preuve car moi, je n'en ai plus. Il n'avait que dix ans. Sa vie sur Terre a Ă©tĂ© de trĂšs courte durĂ©e. Elle s'est brutalement arrĂȘtĂ©e ce 21 juin 2020. J'ai l'impression d'ĂȘtre au bord d'un gouffre alors qu'un tourbillon vient d'emporter dix ans de ma vie. Mon petit garçon, mon petit bĂ©bĂ© ! Je n'ai sans doute pas mesurĂ© la gravitĂ© de ses souffrances. Ma seule consolation, c'est qu'aujourd'hui, elles ont enfin pris fin.

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