Elle a fui pour le sauver. Maintenant, elle court pour survivre. Lyra a abandonné celui qui partageait son âme, laissant derrière elle les cendres de ce qu'ils avaient bâti. La liberté a un goût amer, et la solitude, un prix sanglant. Les loups rôdent dans ses nuits, leurs hurlements déchirant le silence de ses rares moments de repos. Les vampires, eux, suivent ses traces, attirés par l'odeur de son désespoir et par la prime placée sur sa tête. Car Kain, l'Alpha des meutes de l'Est, ne tolère pas les traîtres. Et Lyra l'a trahi. Il ne la tuera pas. Non. Il veut la voir plier. La voir supplier. La voir renier tout ce qu'elle aime avant de lui arracher la vie. Mais Lyra n'a plus rien à perdre. Et une femme sans peur est plus dangereuse qu'une meute entière. La chasse est ouverte. Qui mordra le dernier ?
Le vent mordait la peau de Lyra, soulevant des volutes de poussière qui s'accrochaient à ses vêtements déchirés. Chaque inspiration lui brûlait la gorge, chaque pas résonnait comme un coup de marteau dans le silence de la nuit. L'obscurité n'offrait aucun refuge. Derrière elle, dans l'ombre mouvante des arbres, les murmures des prédateurs persistaient. Ils suivaient son odeur, une signature indélébile inscrite dans la terre et l'air.
Elle ne devait pas s'arrêter.
Le sol rocailleux s'effritait sous ses bottes, la pente s'accentuait. Ses jambes criaient grâce, mais la peur les maintenait en mouvement. Une peur profonde, enracinée dans sa chair, celle d'être capturée, ramenée à celui qu'elle avait fui.
Kain.
Son nom cognait dans son esprit comme une incantation maudite. Elle ne devait pas penser à lui. Pas à ses yeux brûlants, ni à sa voix qui s'insinuait dans ses os. Pas à ce qu'il ferait si-
Un craquement.
Lyra pivota brutalement, son cœur manquant un battement. L'obscurité sembla frémir, l'espace d'une seconde, avant que le silence ne retombe, plus lourd, plus menaçant. Quelque chose approchait. Non, quelqu'un.
Ses doigts tremblants effleurèrent la lame attachée à sa cuisse. Elle ne pouvait pas se permettre un combat. Pas après des jours de fuite, pas avec ses blessures encore ouvertes. Mais l'inaction était un luxe.
L'ombre se détacha lentement des ténèbres.
Un homme.
Grand. Silencieux. Son odeur n'était pas celle des loups, ni même celle du sang. C'était une senteur plus subtile, plus insidieuse, qui se mêlait à l'air comme une brume empoisonnée. Un chasseur. Un vampire.
Lyra raffermit sa prise sur la lame.
- ...Trop tard, murmura l'inconnu d'une voix soyeuse.
Un sifflement fendit l'air. Un mouvement imperceptible.
La douleur explosa dans son flanc.
Elle recula d'un pas vacillant, une chaleur poisseuse s'étalant sous ses doigts. La lame du vampire l'avait touchée, non pas profondément, mais suffisamment pour ralentir sa course. Un frisson d'adrénaline lui glaça la colonne vertébrale. Il jouait avec elle.
Le combat n'était pas équitable.
Mais Lyra ne se battait jamais à armes égales.
Avec un grognement sourd, elle fit un pas de côté, laissant son corps tomber volontairement vers l'avant. Une manœuvre suicidaire qui la projeta contre son ennemi. Le vampire fut pris de court. Juste un instant. Un fragment de seconde qui suffit.
Elle plongea sa lame dans sa gorge.
Un gargouillis étranglé. Un sursaut de stupeur.
Le sang noir jaillit en volutes épaisses.
Le corps s'effondra dans un spasme. Lyra recula, haletante, serrant sa plaie, tandis que l'ombre à ses pieds s'effaçait déjà dans la poussière. Elle aurait dû fuir immédiatement, mais les mots du vampire flottèrent jusqu'à elle, derniers vestiges d'un souffle mourant.
- Kain a déjà tes amis...
Un frisson dévora son échine.
Mensonge.
Forcément un mensonge.
Mais si ce n'en était pas un... ?
Le doute s'insinua, cruel, impitoyable.
Derrière elle, les hurlements des loups déchirèrent la nuit.
Elle n'était plus seule.
Le hurlement s'étira dans l'obscurité, un appel guttural qui fit vibrer l'air et se répercuter dans les profondeurs de son être. Lyra savait ce que cela signifiait. Ils avaient trouvé son odeur.
Son souffle se bloqua dans sa gorge alors qu'elle balayait les environs d'un regard affûté. L'ombre mouvante des arbres lui offrait une couverture illusoire, mais contre les loups, elle n'avait aucun réel abri. Ils étaient rapides, implacables. Chasseurs nés.
Elle ne devait pas attendre qu'ils l'encerclent.
Une impulsion fusa dans ses muscles et elle se remit en mouvement, ignorant la brûlure de sa plaie. Chaque pas résonnait dans le sol, chaque battement de cœur lui semblait une détonation. Le sentier escarpé se rétrécissait, bordé de falaises abruptes qui plongeaient dans le néant. À sa droite, une étendue rocheuse ; à sa gauche, un précipice traître.
Ses pensées défilaient à une vitesse frénétique. Les vampires étaient à ses trousses. Les loups aussi. Kain avait envoyé tout ce qu'il possédait pour la ramener.
Une ombre bondit devant elle.
Son corps réagit avant son esprit. Elle roula sur le côté, évitant de justesse les crocs qui claquèrent à l'endroit où se trouvait sa gorge un instant plus tôt. Une silhouette massive, au pelage d'ébène, se redressa sous la lune. Ses yeux brillaient d'une intelligence froide.
Pas un simple loup.
Un lycan.
Les autres n'étaient pas loin. Lyra le savait. Ils l'attendaient, dans l'obscurité, prêts à l'isoler, à la pousser dans un piège.
Elle recula d'un pas, ses bottes effleurant le bord du ravin. L'air s'engouffra sous elle, glacial, hurlant sa menace.
- Bloquée.
L'ombre devant elle ne bougeait pas. Il n'avait pas besoin de se précipiter. Il savait qu'elle n'avait nulle part où aller.
Ses doigts se crispèrent sur la garde de sa lame. Elle pouvait se battre, se jeter sur lui dans un assaut suicidaire, mais les autres l'écraseraient aussitôt sous leur nombre.
Non.
Elle n'avait pas fui tout ce temps pour se faire abattre ici.
Ses pupilles balayèrent son environnement. Un repli. Un angle mort. N'importe quoi.
Son regard tomba sur un repli rocheux en contrebas. Un terrain instable, abrupt... mais si elle pouvait l'atteindre, elle pourrait disparaître.
L'adrénaline noya la douleur.
Lyra prit une inspiration, puis fit l'impensable.
Elle se laissa tomber.
Le vent s'engouffra dans ses vêtements, lui arrachant un cri silencieux. La chute n'était pas longue, mais brutale. Ses jambes rencontrèrent la pierre, la force de l'impact la projetant vers l'avant. Elle roula, le corps meurtri par la descente, avant de heurter une souche d'arbre qui stoppa net sa course.
Le souffle coupé.
Un instant de vide.
Puis la douleur explosa dans ses nerfs.
Elle mordit sa lèvre jusqu'au sang, refusant d'émettre le moindre son. Ils écoutaient. Ils cherchaient.
Au sommet de la falaise, une silhouette se pencha.
Des yeux dorés scrutèrent les ténèbres.
Un grondement s'éleva, bas, menaçant.
Ils savaient qu'elle était encore en vie.
Mais pour l'instant, elle leur avait échappé.
Juste pour l'instant.
Le silence n'existait jamais vraiment dans la nuit. Chaque bruissement, chaque craquement de feuille devenait une menace potentielle, un murmure d'alerte. Allongée dans la boue, la poitrine heurtée par la brutalité de sa chute, Lyra refusait de bouger. Son souffle mesuré, imperceptible.
Les loups étaient encore là-haut. Elle sentait leur présence, une tension suspendue, un instinct de traque inassouvi. Ils attendaient. Espérant un mouvement. Espérant une erreur.
La douleur pulsait dans son flanc, chaude et poisseuse. Sa plaie s'était rouverte. Chaque seconde comptait, mais si elle bougeait trop tôt, elle signait sa mort.
Un hurlement fendit la nuit, puissant et autoritaire.
Kain.
Sa voix résonna dans l'obscurité, vibrante d'une colère maîtrisée. Il ne l'appelait pas. Il commandait.
D'autres hurlements répondirent, plus bas, plus nombreux. Les ombres se déplacèrent au-dessus, et un frisson d'effroi lui traversa l'échine.
Ils ne descendaient pas. Ils s'éloignaient.
Pourquoi ?
Elle attendit, chaque seconde étirée comme une éternité. L'adrénaline martelait ses tempes. Puis enfin, le silence revint, et avec lui l'espace d'un répit.
Lyra roula sur le côté, serrant les dents pour ne pas crier. Ses muscles protestèrent, ses côtes meurtries. Elle n'était pas indemne, mais elle était vivante.
Elle dut s'appuyer contre un tronc d'arbre pour se redresser. La forêt en contrebas était dense, mais elle n'y voyait pas d'issue immédiate. Une rivière, peut-être. Une grotte, si la chance était de son côté.
Sa main trembla en tâtant la plaie sous ses côtes. Du sang. Trop de sang. Elle devait arrêter l'hémorragie, ou elle finirait par se vider avant même qu'un loup ou un vampire ne la retrouve.
Elle avança, pas après pas, chaque mètre une lutte contre son propre corps.
La boue collait à ses vêtements déchirés. Le froid mordait sa peau.
Mais elle continua.
Parce que l'alternative était pire.
Parce que Kain la voulait vivante.
Et elle préférait mourir.
Les ombres de la forêt semblaient s'étirer à l'infini, des silhouettes indistinctes prêtes à se refermer sur elle. Chaque pas était une lutte. Chaque respiration, une victoire éphémère sur l'engourdissement qui menaçait de l'engloutir.
Lyra avançait à l'aveugle, guidée par l'instinct plus que par la raison. La douleur dans son flanc s'intensifiait, pulsante, irradiante. Elle savait ce que cela signifiait. La plaie s'infectait. Son corps faiblissait. Et si elle ne trouvait pas un refuge bientôt, elle deviendrait une proie facile.
Le hurlement d'un loup retentit derrière elle, suivi par un autre, plus lointain. Ils s'étaient dispersés, mais ils la traquaient toujours.
Elle accéléra le pas, chaque battement de son cœur cognant dans sa tête comme un tambour de guerre. L'obscurité l'enveloppait, troublée seulement par les reflets argentés de la lune filtrant à travers la cime des arbres.
Puis, elle l'entendit.
Le bruissement de l'eau.
Une rivière.
L'espoir, aussi mince soit-il, lui insuffla une dernière étincelle d'énergie. Elle trébucha, s'accrocha à une branche basse, poursuivant son chemin à travers les ronces et les racines traîtresses.
Enfin, elle aperçut l'eau, noire et glacée sous la lumière nocturne.
Elle s'agenouilla sur la berge, les mains tremblantes. L'eau serait un moyen d'effacer ses traces, de semer ses poursuivants, mais elle était trop faible pour traverser un courant fort.
Un choix s'imposait.
Se cacher et espérer que les loups passent leur chemin.
Ou plonger et risquer de ne jamais ressortir.
Derrière elle, une brindille craqua.
Son sang se glaça.
Elle n'était plus seule.
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