"La peur. Je n'avais pas peur de descendre, j'avais peur de quitter cet endroit. Ce mot, c'était clairement une menace, et je comptais bien appliquer à la lettre ce qu'il me demandait. Si l'auteur avait été capable de m'amener ici, dieu seul sait de quoi d'autre il était capable. Cétait stupide, aveuglément stupide. Mais j'avais peur. Et la peur, on le sait bien, c'est la seule chose qui nous maintient en vie."
Allongé sur le banc de plastique inconfortable du métro, j'attendais je ne savais plus quel arrêt. J'étais perdu dans la contemplation du paysage souterrain qui défilait par les vitres du métro branlant. Chaque arrêt et départ secouait le wagon, signalant un nouvel arrêt. Mais il ne s'était jamais arrêter complètement, puisque quelques minutes plus tard, il repartait de plus bel vers une autre station. Depuis... deux jours me semblait-il, je dormais sur ce banc de plastique. Les passagers me jetaient de drôles de regard. C'était ce mot, dans ma poche, qui me forçait à rester ici.
J'avais d'abord cru n'avoir à attendre qu'une journée pour parvenir à la dernière station, mais en réalité, le métro n'était jamais repassé deux fois par le même arrêt. C'était même curieux de voir les gens l'emprunter avec habitude et me regarder comme un fou. N'était-ce pas eux qui entraient et pouvaient ressortir sans encombre ?
Je me redressai sur le banc dans un grincement de plastique désagréable avant de laisser mon regard vagabonder sur l'intérieur du métro. Les gens étaient étonnement silencieux. Les places de plastique bleu n'étaient occupées qu'à moitié. En face de celle sur laquelle je me trouvait, une mère et sa jeune fille d'une dizaine d'année détournaient le regard. La mère tenait fermement la main de sa fille, les lèvres pincées, fuyant mon regard. Ai-je l'air à ce point paumé ?,me demandai-je. Certes les gens n'avaient jamais vraiment prêté attention à moi, mais aucuns ne m'avait jamais ignoré ou fuit de la sorte. Pour la énième fois alors, je sortis de ma poche arrière le morceau de papier aux coins écornés que j'avais trouvé il y a maintenant deux jours. Comment pourrais-je savoir que cela fait deux jours ?, me demandai-je, je n'ai pas revu la lumière du soleil depuis que je suis ici, encore une autre interrogation. Voilà donc approximativement deux jours et une nuit que je suivais aveuglement les consignes de quelques lettres tracées à l'encre sur une fine couche de papier, d'une écriture ronde qui disait explicitement : Quoi qu'il arrive, ne descends du métro qu'au tout dernier arrêt.
Qui était l'auteur de ce mot ?, je l'ignorais. Comment m'étais-je retrouvé dans le métro ?, je l'ignorais également. Ma seule certitude était que je ne descendrai de ce métro qu'à la toute dernière station, comme le demandait explicitement ce mot. Pourquoi ? La peur. Je n'avais pas peur de descendre, j'avais peur de quitter cet endroit. Ce mot, c'était clairement une menace, et je comptais bien appliquer à la lettre ce qu'il me demandait. Si l'auteur avait été capable de m'amener ici, Dieu seul sait de quoi d'autre il était capable. C'était stupide, aveuglément stupide. Mais j'avais peur. Et la peur, on le sait bien, c'est la seule chose qui nous maintient en vie.
Le wagon s'ébranla sur la droite et je manquai de tomber à la renverse. Il finit par ralentir et une demi-douzaine de passagers sortirent sans un au revoir poli à l'adresse de ceux qui devaient encore attendre leur arrêt, comme moi. Je fourrai le morceau de papier dans ma poche et me levai pour quémander de la nourriture à l'hôtesse, comme je l'avais fait les deux jours précédents. Il s'agissait d'une femme à l'allure sévère, dans un uniforme impeccable et aux cheveux tirés sans aucuns défauts. Ce n'était pas la même personne qu'hier et avant-hier. Les hôtesses devaient effectuer des rotations. Depuis quand y-a-t'il des hôtesses avec des chariots de nourriture dans le métro ?, me demandai-je. Évidemment il n'y en avais jamais eu. Ce n'était pas un détail qui m'avait frappé sur le moment, j'avais comme... oublié cette partie de mes souvenirs. Bon sang, comment ais-je pu oublier ça ?, demandai-je pour moi même.
En m'approchant, la femme étira ses lèvres recouvertes d'un rouge à lèvres criard et avança vers moi, haute perchée sur ses talons. « Que puis-je pour vous mon bon monsieur ? », questionna-t-elle. Elle agissait d'une attitude totalement artificielle. « Je veux à manger », répondis-je sans lui rendre son affreux sourire hypocrite. Sans que je puisse l'expliquer, j'éprouvais une haine envers cette femme, elle n'était même pas censée être là. « Que voulez vous précisément ? », me demanda cette dernière en penchant sa tête sur la droite, quelle attitude ridicule. « À manger ». Elle rit d'un petit rire exagéré sans aucune joie, elle se foutait clairement de moi. « Je suis bien désolée, mais il va falloir m'en dire plus », continua-t-elle. « Je voudrais de la nourriture », dis-je en prenant l'air exagérément poli. « Ce que vous voulez vraiment c'est descendre », affirma-t-elle. « Qu'avez vous dit ? », lui dis-je en fronçant les sourcils. « Que voulez vous précisément ? », répéta-t-elle sans que je ne saisisse la répétition. J'étais persuadé que ce n'est pas ce qu'elle avait dit. « Laissez tomber », lui dis-je avant de retourner sur mon banc de plastique.
L'hôtesse me regarda m'asseoir d'un air étonné, méfiant. Son sourire artificiel tombait légèrement des deux côtés, trahissant son incompréhension quand à ce mal entendu. Faites pas l'hypocrite, avais-je envie de lui dire, vous et moi on sait pourquoi vous êtes là. Elle finit par reprendre ses esprits et étirer de nouveau ses lèvres dans un sourire glacial avant de repartir dans ce qui me parut être l'arrière cabine. Encore une nouveauté ça. Le plus drôle, c'est que personne dans le wagon ne semblait avoir conscience qu'il n'y aurais jamais dû avoir ni hôtesse, ni arrière cabine.
Autour de moi, certaines personnes descendirent à un nouvel arrêt, en réalité j'espérais que le métro ne redémarrerait pas. Mais comme les cents dernière fois, il repartit de plus belle. Je devrai descendre, ce foutu métro ne s'arrêtera jamais, commençai-je à penser, et puis, ma famille dois m'attendre. J'eus soudainement un nouveau trou de mémoire, mais de quoi étais-je en train de parler ? Une minute, fit une autre petite voix dans ma tête, de quelle famille veux-tu parler ? Eh bien, de ma femme et de mes...enfants ?, me répondis-je avec hésitation. Mais tu n'as pas de femme, tu n'as pas non plus d'enfants, tu n'as que ce métro, répliqua-t-elle. J'hésitais, que pouvais-je répondre à ça ? Tu as raison, je n'ai que ce métro, lui dis-je. Le pire c'est qu'elle avait raison, n'avais-je pas un téléphone dans la poche gauche de mon jean ? Si j'avais une famille, il aurait déjà sonné une dizaine de fois, pas vrai ? Ou alors ils ne tiennent pas à moi, pensais-je. Dans les deux cas, je n'aurais rien su confirmer.
J'avais une vie en dehors de cet endroit, j'avais un métier aussi. Mais quel métier ? C'était une nouvelle interrogation. Enfin, on oublie pas son métier du jour au lendemain !, m'étonnai-je. Peut-être mon métier était-il dans ce métro après tout ? Ou bien je n'en avais aucun. Ou bien je n'étais personne.
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