Le visage appuyé contre la vitre, je regardai toute ma scolarité défiler, de l'école maternelle au coin de la rue jusqu'au lycée dans lequel j'étais jusqu'à l'année dernière, en passant par mon école primaire et le collège qui m'avait accueillit quatre ans. La voiture dépassa la rue de mon ancien lycée sans y tourner. Je vis que certains visages familiers attendaient déjà que le portail s'ouvre.
- Edwige, ne stresse pas, m'encouragea ma mère au volant. Tu vas te faire plein d'amis, tu as toujours été très douée pour ça.
Bien sûr, comme si elle en savait quoi que ce soit. Je pourrais être heureuse de ses compliments si ils étaient au moins crédibles.
- Et puis tu seras avec Lana, ajouta-t-elle.
Lana. Heureusement qu'on allait toutes les deux faire notre rentrée de première dans le même nouveau lycée. On désirait toutes les deux avoir la spécialité anglais et pour l'obtenir, il fallait changer d'établissement. Je sortis de ma rêverie quand ma mère se retourna vers moi avec un grand sourire.
- On arrive !
Elle ralentit devant le portail juste le temps de me laisser descendre et repartit aussi sec. Pas un "au revoir", pas un mot. Je ne me remis à sourire qu'en entendant une voix familière m'appeler.
- Edwige ! hurla une fille hystérique depuis derrière moi. Mon lapin !
Ça, c'était Lana. Je me retournai pour lui sourire et couru la voir en ignorant les gens qui nous regardaient bizarrement. Comme à son habitude, elle était habillée à la mode Bohème: cheveux tressés de rubans dénichées dans des brocantes, haut large et coloré, pantalon à pattes d'éléphant et motifs extravagants, imposants bijoux fantaisie et chaussures de deuxième main. Seules ses lunettes rondes faisaient exception à son style.
J'étais si contente de la voir qu'en courant, je me pris les pieds dans le trottoir et m'écrasai sur quelqu'un avec la grâce d'un cachalot. Il n'y a qu'à moi que ça arrive ?! Je poussa un cri avant qu'il ne soit étouffé par le fracas de nos corps s'écrasants au sol. Dieu merci, je n'avais pas eu mal. Or, pour lui... Il ne valait mieux pas se faire d'idées. Sans vraiment le vouloir, je m'appuyai encore d'avantage sur le garçon que j'avais bousculé -ou plutôt complètement renversé- pour me lever. Il faut savoir que, dans mon habileté légendaire, j'étais tombée, oui, mais sur lui qui, lui, avait bel et bien embrassé le trottoir.
- Putain ! Mais tu peux pas faire attention ?! s'exclama-t-il en me repoussant violemment.
Une petite voix me chuchota que moi aussi, à sa place, j'aurais tapé un putain de scandale. Mais d'un autre côté, je n'étais pas décidée à me confondre en excuses devant ce type qui m'agressait pour une petite chute. Ou alors, il t'agresse parce qu'en plus de t'être servie de lui comme d'un airbag, il s'est mangé le trottoir par ta faute. Je levai les yeux au ciel et le toisai avec le regard le plus noir que j'avais en réserve.
- Ça va, excuse moi, grognai-je en me relevant. J'ai perdu l'équilibre.
Il ricana amèrement, se relevant aussi pour me surplomber de toute sa taille. J'avais l'impression d'être toute petite tant il était imposant. Était-ce obligé qu'un abruti comme lui soit aussi bien foutu ?
- T'es nouvelle, toi, non ?
Sa remarque avait été prononcée sur un ton mauvais qui me fit réaliser tous les regards posés sur nous.
- Oui, répondis-je sèchement.
Un "Qu'est ce que ça fait ?" encore plus sec me traversa l'esprit mais je me dis que j'avais peut être déjà suffisamment abusé pour ma première matinée dans ce lycée. Et dire que le portail n'était même pas encore ouvert...
- Bravo, lança-t-il sur un ton cassant, tu as trouvé un bon moyen pour te faire remarquer dès le premier jour.
Il fit un pas vers moi et je me sentis presque défaillir tant sa présence était menaçante. Il y avait quelque chose de très brutal dans ses yeux qui me clouait sur place.
- Alors, t'as intérêt à faire profil bas, la nouvelle. Parce que si je déteste les idiotes qui courent sans regarder où elles vont, je déteste encore plus celles qui me répondent mal.
Piquée au vif, j'haussai un sourcil.
- T'aime pas qu'on te réponde, c'est ça ? répliquai-je avec insolence. Alors tu ferais mieux de te trouver des idiotes à qui tu fais peur, pour leur sortir ton discours éclaté.
Je vis très clairement dans ses yeux que j'avais fais la connerie du siècle et je m'apprêtai à en subir les conséquences quand, du coin de l'œil, je vis plusieurs élèves se retourner vers le lycée. Derrière le portail, deux surveillants étaient en train d'arriver pour le déverrouiller et nous laisser entrer dans l'enceinte de l'établissement.
- Allez, viens, on s'en fout, lança un mec en essayant de capter l'attention du fou-furieux. Laisse tomber, on va aller voir nos classes.
- Grave, renchéri un autre en essayant de l'éloigner de moi. Grouille toi.
Leur intervention me soulagea profondément. Le taré, de son côté, ne semblait pas du tout prêt à lâcher l'affaire. Mais devant l'insistance de ses potes, il finit par me décrocher un regard qui voulait dire "C'est pas fini" avant de tourner les talons. Je le vis s'éloigner, entouré de quelques mecs qui lui tournaient autour comme pour le dissuader de changer d'avis et de venir me faire la peau tout de suite.
- Edwige, ça va ?! s'exclama Lana en me rejoignant. Ce... Ça va ?
Je haussai les épaules, encore profondément agacée par l'autre abruti.