Souadou est une jeune femme heureuse et bien dans sa peau. Tout lui sourit: amour, santé, travail et amitié. Mais il suffira d'un jour pour que sa vie tout entière soit déstabilisée. Le destin ne l'épargne pas et les épreuves difficiles s'enchainent. C'est le début d'une longue période de doute et de douleurs pour elle.
Partie 1:
La voix stridente du muezzin, chantant l'appel à la prière, me tira de mon sommeil profond. Je me levai précipitamment de mon lit bancal, en jetant auparavant des regards courroucés à ma grande sœur Oulimatou, qui ronflait comme un buffle, la bouche légèrement entrouverte. D'une main preste, je pris ma serviette nonchalamment accrochée au loquet de la porte, et entrepris de prendre ma douche. Ma mère, toujours fidèle au poste, était assise au milieu de la cour, sur son tapis de prière, en égrenant avec ferveur son chapelet. En trainant des pieds, je me sermonnais intérieurement : à ce rythme, je risquais de rater mon bus, et ce serait la catastrophe, vu que j'avais ce matin-là un devoir de philosophie de la plus haute importance.
Alors, je me présente : je me nomme Souadou. J'avais 20 ans lorsque cette histoire a débuté. J'étais alors à l'époque élève en terminale au Lycée Lamine Gueye. Vous l'aurez sans doute deviné : tout comme Sally, je suis Sénégalaise. Cependant, même si nous partageons la même nationalité, nous avons toutes les deux eu des parcours très différents. En effet, moi je viens plutôt d'une famille démunie, avec très peu de moyens financiers. J'habite dans la banlieue de Guédiawaye, ce qui explique mon empressement à chaque matin, vu le long trajet qui reliait ma maison à mon institut scolaire. Mes parents aussi bien mon père que ma mère, n'ont, hélas, pas eu la chance d'aller à l'école, et encore moins de suivre des études universitaires. Mon père a quitté son Waalo natal pour s'exiler à Dakar dans l'espoir d'atteindre de meilleures conditions de vie, et ainsi fonder une famille. S'il y'a bien un homme que j'admire le plus sur cette terre, c'est sans nul doute lui. Il a déployé tous les efforts nécessaires pour la survie de sa famille. Consciente de mon histoire, de mes origines, et de toutes ces privations que la vie nous avait infligées à moi et à mes frères et sœurs, je me consacrais entièrement à mes études, mon seul dernier recours afin de nous sortir de cette vie de misère.
Fin prête, je m'apprêtais à sortir de la maison lorsque j'ai croisé mon père, sur le pas de la porte. Il revenait de la mosquée et affichait la mine austère que je lui connaissais depuis ma venue dans ce bas monde. Mais il se dérida aussitôt que son regard se posa sur moi.
_Mon père : Souadou, as-tu pris ton petit-déjeuner ? Je t'ai maintes fois dit d'arrêter d'entamer ta journée en ayant l'estomac vide.
_Moi :T'inquiète, je n'ai pas faim, Papa.
Il me scruta de ses yeux inquisiteurs, puis sortis de sa poche quelques pièces qu'il me donna, en me recommandant de presser le pas pour ne pas rater le fameux bus. Je le remerciais d'une voix timide, sans qu'il ne puisse déceler le moindre soupçon de culpabilité dans ma voix. Je détestais littéralement lui soutirer des sous, puisque je n'étais pas sans savoir l'énorme poids de toutes les dépenses domestiques qui pesait sur ses épaules. Je n'avais pas eu le cœur à lui avouer que je préférais mourir de faim, et garder mon argent destiné à mes repas, pour le dépenser en soins cosmétiques, capillaires.... Après tout, je reste une jeune fille soucieuse de son look comme toutes les autres demoiselles de mon âge, et cela, ce n'est pas un père de famille préoccupé plutôt par le bien-être de sa famille, qui pourrait le comprendre. L'esprit assombri par ces pensées matinales assez moroses, je me dirigeais à la hâte vers l'arrêt de bus d'où j'aperçus de loin celui-ci s'en aller cahin-caha. Sacrilège ! J'avais encore une fois raté ce maudit bus alors que je ne pouvais me permettre une absence en ce jour. Désespérée, je tournais en rond, ne sachant quoi faire. Je savais pertinemment que le passage du prochain bus ne serait pas avant une demi-heure, si toutefois même il respectait son heure de passage. Inutile de retourner à la maison : aucun membre de me famille n'était véhiculé, et aucun d'eux ne pouvait se permettre de me payer le coût faramineux d'un trajet de taxi entre Guédiawaye et Dakar. De surcroît, je savais que si mon père m'offrait le prix du trajet du taxi, il y'avait de grandes chances que notre repas du midi en pâtisse. Il ne me restait plus qu'une seule alternative : appeler Kéba pour qu'il m'aide à sortir de ce merdier. Je le bipais avec le peu de crédit qu'il me restait, en priant de toutes mes forces pour qu'il me rappelle. Il ne tarda pas à le faire.
_Kéba : Allô ! J'espère que tu as une bonne raison pour m'appeler à pareille heure. Il n'est même pas encore 7H.
Je rigolais nerveusement, afin de masquer ma gêne, et lui répondis :
_Moi : Je suis bien consciente de l'heure matinale à laquelle je t'appelle, mais vois-tu je n'avais pas d'autre choix. Je suis foutue, je viens de rater mon bus et tu sais qu'on a un devoir de philo à 8H tapantes. Si je le rate, sois-sûr que Monsieur Diop se fera un plaisir de me mettre zéro, déjà qu'il a bien du mal à digérer mon taux d'absentéisme élevé. Et en plus, cette note est super importante, elle sera mise dans le relevé de notes ....
_Kéba : Je vois. Prends un taxi, je me chargerai de le payer. Je saute du lit là, et me dépêche d'arriver donc au lycée avant toi, mais si jamais tu m'y devances, demande au boutiquier Kalidou de te filer les sous pour le taxi. S'il s'entête à ne pas vouloir te donner les sous, tu me bipes, et je lui expliquerai. A toute.
En poussant un ouf de soulagement, je hélais un taxi et m'y engouffrais rapidement. Sacré Kéba ! Je savais bien qu'il était le seul à pouvoir me sortir de ce guêpier. Kéba était issu d'une famille de richards, et était fils unique, tant choyé qu'adulé par ses parents. Mais ce qui me plaisait en lui, c'est qu'il savait garder les pieds sur terre et faire preuve d'une certaine humilité que tous les fils de riches n'avaient pas. Son choix personnel de fréquenter un lycée public, plutôt qu'un de ces établissements privés comme la Cathédrale, n'en témoignait-il pas ? Perdue dans mes pensées, je réalisais qu'il ne fallait absolument pas que je parle de cet épisode à Thierno, mon petit ami depuis près d'une année maintenant, de peur qu'il ne formule des commentaires acerbes à ce sujet. D'une jalousie maladive frôlant l'excès, il ne comprendrait pas le fait que j'aie eu recours à Kéba plutôt qu'à lui, afin de résoudre mon problème.
Remarque, si j'étais sûre que Thierno avait les moyens de m'aider, je n'aurais pas hésité à l'appeler à la rescousse. Déjà que la somme de sa bourse aussi insignifiante que dérisoire suffisait à peine à régler ses dépenses d'étudiant, je n'allais pas non plus lui infliger les miennes. Aussitôt, une réflexion (assez déplaisante à mon goût) de ma grande sœur Oulimatou me revint en mémoire. En effet, alors que je me plaignais un soir de ne point avoir de quoi m'acheter de nouveaux habits, à l'occasion de la semaine culturelle de mon lycée, Ouli me cloua le bec sans détours en me disant : « En même temps, si tu sortais avec des riches cadres ou hommes d'affaires, au lieu de ton satané étudiant là, on ne serait pas en train d'avoir cette conversation présentement. Je ne comprends franchement pas ton manque d'ambition. Nous sommes déjà pauvres, ma chère, alors pourquoi t'affubler d'un petit ami pauvre ? A quoi te sert-il, donc ? ».
Serrant fortement les dents afin de résister à l'envie de lui donner une réponse cinglante, je feignis une soudaine surdité.
Ma sœur et moi étions différentes tant physiquement, que mentalement. Nous n'avions pas du tout les mêmes modes de pensée : moi je voulais m'en sortir à la sueur de mon front, par le biais de mes études, contrairement à elle qui plaçait toutes ses chances dans l'espoir de rencontrer un richissime homme. Alors, dites-moi objectivement : laquelle de nous deux manquait réellement d'ambition ? Moi la future self-made woman ou Oulimata la nouvelle riche ? Bref, je n'eus pas à exposer mes talents en diplomatie et négociation afin d'amadouer l'acariâtre boutiquier Kalidou, puisque Kéba m'attendait devant le lycée. Il était vêtu comme à son habitude vestimentaire d'un jean baggy et d'un maillot des Lakers, sans oublier la casquette assortie. Il régla la course, pendant que je regardais ailleurs, morte de honte. Je regrettais presque de l'avoir appelé. Ces sentiments mêlés d'infinie gratitude et de sursaut d'orgueil me filaient des nausées.
_Keba : ça va, beauté ?
_Moi : ça va très bien. Merci beaucoup de m'avoir dépannée. Je te revaudrai ça.
_Kéba : T'inquiète, ce n'est rien. Prête pour le devoir de philo ?
_Moi : Ouais, plus ou moins. Ce n'est pas trop mon fort.
_Kéba : Arrête ! T'es première de la classe. Je déteste ta faute modestie.
_Moi : Mais toi-même tu sais que Monsieur Diop ne me porte pas trop dans son cœur. Il a une dent contre moi, pour je ne sais quelle raison d'ailleurs ...
Il pouffa de rire, puis me répondit :
_Kéba : Il en pince pour toi, ça se voit. Mais qui pourrait ne pas tomber sous ton charme, Souadou ?
J'éludais sa question rhétorique en mettant fin à la conversation :
_Moi : Je vais aller relire mes fiches. Je suppose que tu vas fumer ta clope avant d'entrer en classe, toi ?
A peine eut-il le temps de me répondre, que la dernière personne à qui je m'attendais à voir sur ces lieux, fit son apparition : Thierno, mon petit ami. Mais qu'est-ce qu'il pouvait bien faire ici de si bonne heure ? Il était supposé être dans les bras de Morphée, bien au chaud sur son lit de sa minuscule chambre universitaire, et non me trouver en pleine discussion avec Kéba qu'il ne pouvait blairer. Heureusement que ce dernier eût aussitôt la présence d'esprit de s'éloigner et de rejoindre sa bande de potes fumeurs. Ils se sont jetés des regards de chiens de faïence sans même s'encombrer de protocole de salutations.
_Moi : Tu fais quoi ici, Thierno ?
_Thierno : Amadou (ndlr = son coloc) a été malade toute la nuit, du coup je l'ai accompagné de bon matin à l'hôpital principal. Comme c'est à côté, je me suis dit que j'allais passer vite fait te faire un petit coucou. Mais je vois que Mademoiselle est occupée à flirtouiller avec les gamins de son lycée.
_Moi : Arrête ! Tu exagères ! Kéba n'est rien d'autre qu'un gentil camarade de classe. Tu as juste un sérieux problème de jalousie. Tu es limite, parano.
Il eût un rire sans joie, sans pour autant se départir de son regard dur.
_Thierno : Ah ouais, je suis parano, tu trouves ? Ça fait un bon moment que je t'observe de loin, depuis ton arrivée. A moins que je sois sérieusement myope, il me semble bien avoir vu ton « pote » régler la course de ton taxi. Mais attends, minute ! Depuis quand Mademoiselle vient au lycée, en taxi ? Pour quelqu'un qui a dû dîner d'un « mbakhal » hier soir, c'est un bien grand luxe que tu t'accordes là !
A suivre !