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Dans les bras du Wendigo

Dans les bras du Wendigo

La plume d'une brune

4.9
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Chapitres

Pendant l'enfance, Jamie I'Anson a subi le rejet de sa mère et l'absence de son père. On ne lui a jamais révélé les circonstances si sombres de sa naissance. Et lorsque ses grands-parents se sont doutés de son homosexualité, à l'adolescence, ils l'ont cruellement renié. Ce n'est donc pas étonnant qu'encore aujourd'hui, maintenant qu'il a vingt ans et qu'il n'habite plus avec sa famille toxique, il souffre d'une faible estime de soi. De nature très introvertie, ses malheureux souvenirs ne cessent de le hanter et il ignore où est sa place dans le monde. À la recherche d'un peu de réconfort, il adopte enfin un chien – son rêve le plus cher – lors d’un soir d'été chaud et pluvieux. Il est alors loin de s'imaginer l'ampleur de cette nouvelle aventure. En effet, Jamie ne s'éprendra pas seulement d'une mignonne petite boule de poils : son chemin croisera celui de Lincoln Blackburn, un homme aguerri au regard mystérieux et au corps de dieu. Leur rencontre fera naître en lui des sentiments et des désirs complètement fous, mais aussi quelque chose d'inexplicable... de surnaturel. Bientôt, Jamie découvrira que sadite place était ailleurs, dans un monde impensable qui n'a rien à voir avec celui qu'il a connu jusque-là. Dans cet univers nouveau, merveilleux, le paradis existe. L'enfer également... Il le saura vite mieux que quiconque.

Chapitre 1 Chapitre 1

— Tu es certaine de ne pas vouloir venir avec moi, Kathlyn?

Un soupir agacé me répond, puis un regard insistant pèse en ma direction. Je comprends tout de suite que ma coloc, une petite rousse grassouillette aux grandes billes noisette, n'a plus envie d'entendre cette question... Devant son air sévère, je souris faiblement en baissant les yeux, désolé. Ça arrive souvent. J'ai quelques années de moins qu'elle et ma personnalité toujours anxieuse, dépendante lui tape parfois sur les nerfs. En l'occurrence, j'ai un peu peur de rejoindre ma voiture pour faire une heure de route, seul... vers un trou perdu où je rencontrerai un étranger, d'autant plus.

— Jamie, déjà que je n'ai pas envie d'accueillir ce cabot dans notre appartement... Je n'ai pas du tout envie de rater ma soirée avec des copines pour aller le chercher! Je suis désolée mon chou, mais ce soir, il va falloir que tu te débrouilles.

— D'accord, ne t'en fais pas. Ce n'est pas grave.

Je murmure à travers ma jeune voix masculine toujours douce et compréhensive. C'est vrai, Kathlyn n'aime pas les chiens alors que moi, j'en suis amoureux depuis toujours... Et pourtant, c'est la toute première fois dans ma vie que je peux en adopter un! Mes grands-parents très stricts ne m'ont jamais laissé cette chance. Or aujourd'hui, maintenant que j'ai vingt ans et que je vis ailleurs par mes propres moyens, mon rêve va enfin devenir réalité! Certes, convaincre ma bonne amie avec qui j'habite n'a pas été facile, mais j'ai bel et bien réussi à l'attendrir au bout d'une éternité. Elle pénètre d'ailleurs la cuisine en cet instant même, contournant le comptoir derrière lequel je me trouve. Ses légers talons hauts claquent sur le parquet brièvement, jusqu'à ce qu'elle vienne se planter juste à côté de moi. Maquillée et habillée avec grâce, les cheveux bien bouclés, elle s'est de toute évidence faite belle... Elle ne fait qu'un mètre soixante et pourtant, je suis à peine plus grand qu'elle! Tout en me couvrant d'un sourire taquin, la voici en train de glisser sa main au creux de ma courte tignasse brune et soyeuse. Je sens ses ongles longs et soignés gratouiller mon cuir chevelu quelques secondes, avant qu'elle reprenne la parole moins sérieusement :

— Toi, ne t'en fais pas. Tout se passera à merveille – comme d'habitude. Et tu sais quoi? Dans moins de trois heures, tu seras déjà de retour à la maison avec ton fameux sac à puces. Pars donc le cœur léger!

Tout à coup, l'anxiété qui serre mes poumons s'envole pour laisser une joie, une excitation sans pareil les gonfler. Kathlyn sait vraiment choisir les bons mots pour me rassurer et surtout, me remonter le moral... ce que ma propre mère n'a jamais su ou juste voulu faire. À mon tour, mon sourire devient beaucoup plus large et sincère. Mes dents bien blanches et droites se dévoilent ainsi, entre mes lèvres pulpeuses à l'arc de cupidon prononcé.

— Tu as raison.

— Comme toujours! Et la prochaine fois, si c'est un mec canon dont tu as envie à la place d'un cabot, fais-moi signe... Je conduirai avec plaisir!

— Kathlyn!

Bon sang. Un brin mal à l'aise malgré notre amitié de très longue date et la confiance absolue qui règne entre nous, je la réprimande sur-le-champ d'un ton vif. Toute espiègle, elle pouffe d'abord de rire avant de s'excuser, me tournant désormais le dos pour retourner à l'entrée. Je la suis de mes yeux émeraude et en amande, alors un peu écarquillés. C'est vrai, je préfère les hommes... Ma coloc et confidente est l'unique personne à qui je l'ai avoué, il y a quelques semaines seulement. Les plaisanteries à ce sujet me gênent donc encore un peu, mais je m'esclaffe quand même bassement. Nos regards si familiers se croisent une dernière fois avant qu'elle ne quitte l'appartement. Direction : l'un de ses énièmes partys auxquels elle m'a trop souvent invité, avec la promesse de me dénicher de séduisants prétendants... Ça n'arrivera pas de sitôt! Les doigts déjà enroulés autour de la poignée, elle me salue finalement et je lui souhaite une superbe soirée en retour. Lorsque la porte se referme, je remets en ordre mes cheveux ébouriffés par son geste affectueux. Ma main attrape ensuite mon smartphone qui traîne sur le comptoir. Me voici seul au milieu du logement vide, silencieux. Le trac me prend de nouveau. Aucun doute, une adorable boule de poils qui me tiendra toujours compagnie me fera un bien énorme... J'ai tellement hâte de serrer cette petite créature dans mes bras, c'est indescriptible! Mon rythme cardiaque en palpite tandis que je tapote rapidement mon écran. J'écris un texto au propriétaire des chiots qui m'intéressent, lui confirmant que je viens bel et bien lui rende visite ce soir et que je suis sur le point de partir.

On ne tarde pas à me répondre d'un simple « OK ». Le type en question est Lincoln Blackburn, mais je ne connais pas son visage ni même sa voix. Un éleveur tout à fait réglo selon l'annonce en ligne, avec qui je n'ai communiqué que par SMS jusque-là... Avant de prévoir cette rencontre, je lui ai bien sûr posé quelques questions essentielles, en plus de demander d'autres photos de ses chiens. Il a l'air sympa, même si tout ce que j'ai de lui, c'est un numéro de cellulaire, une petite conversation virtuelle et une adresse. Sur ce, un coup d'œil à la fenêtre m'indique qu'une pluie toute légère s'abat à l'extérieur. Le soleil est cependant encore bien présent et je devine que la chaleur aussi. Nous sommes en plein mois de juillet, après tout. D'un geste déterminé, j'enfouis donc mon téléphone dans l'une des poches de mon jean. Quant à mon portefeuille, rempli d'une jolie liasse de billets et traînant lui aussi sur le plan de travail, je le range au fond de l'autre. Puis je tourne sur moi-même pour faire face au frigo, dans lequel je m'empare de mes friandises préférées : une boisson énergisante bien froide accompagnée d'une barre de chocolat aux amandes... De quoi rendre le long trajet en voiture beaucoup plus agréable! Je me retrouve à mon tour dans l'entrée, où j'enfile un très fin manteau noir et imperméable par-dessus ma chemise marine. J'attrape ensuite mes clés également pendues à la patère, tout en me glissant dans mes baskets sur le tapis. Et, une fois la capuche tirée sur ma tête, je sors finalement de l'appartement en laissant verrouillé derrière moi.

Mes pas vifs résonnent tandis que je descends l'escalier métallique du petit duplex, dont nous louons l'étage supérieur. Nous avons d'ailleurs un terrain assez spacieux, vert à souhait et encadré d'une haie. Le chiot pourra y courir et s'y amuser comme bon lui semble. À cette pensée, un rictus attendri étire déjà le coin de ma bouche... Mes semelles atteignent désormais l'asphalte humide et je marche vers mon auto, stationnée juste là pour pas changer. Celle-ci, bleue et de modèle modeste, bouge rarement de la cour. En effet, la plupart du temps, c'est plutôt à vélo que je me déplace. Je parcoure au moins une trentaine de kilomètres par jour, pour me rendre au boulot et rentrer au bercail. Pas de doute, je suis du genre sportif! L'oxygène qui embrasse ma figure et remplit mes poumons pendant que je pédale, toujours à vive allure... La sueur qui perle ma peau d'ailleurs bronzée par le soleil... L'effort qui durcit mes jambes... C'est un besoin vital pour moi, quelque chose me permettant d'évacuer l'intense stress social auquel je suis soumis presque en permanence. Le weekend, je m'attaque parfois à de superbes monts, que ce soit encore sur deux roues ou à pied. Il n'y a pas de plus belles aventures – tout ce qu'il me manque, c'est un fidèle toutou à mes côtés! Il m'arrive même d'aller au gym malgré ma timidité maladive, dans l'espoir de développer un minimum de masse musculaire. Je suis ainsi svelte et bien découplé... mais très loin d'être bâti en hercule, hein! C'est tout de même pas mal, ça me permet d'oublier un peu ma petite taille embarrassante.

Le crépitement des gouttes, qui fouettent doucement ma capuche, stoppe net alors que j'entre dans l'auto d'une traite. La seconde suivante, le bruit sourd de la portière vite refermée se fait entendre. Je dépose ma canette et le chocolat dans le porte-gobelet, avant de me débarrasser de mon manteau sur le siège passager. Derrière, la cage de transport du chiot est déjà installée et prête à l'accueillir; j'ai soigneusement placé une couverture douillette au fond et une gamelle d'eau fraîche est accrochée au grillage. Une fois mes fesses confortablement assises et ma ceinture bouclée, j'appuie sur le frein et démarre le moteur. Avant d'enfin quitter la cour, j'attrape mon smartphone pour d'abord activer le GPS. Je le connecte ensuite à la radio, histoire d'écouter ma playlist à tue-tête tout en roulant. La musique... Voilà autre chose que j'adore et qui sait me détendre! C'est donc à l'aide d'une vieille chanson de rock alternatif, d'une bonne gorgée de ma boisson énergisante désormais décapsulée et d'une profonde inspiration que je rassemble mon courage. Allez, je n'ai qu'à conduire et qu'à socialiser un peu avec cet homme pour réaliser mon rêve d'enfance... et vite revenir à la maison, retrouver ma rassurante routine solitaire. Je déteste vraiment quitter ma zone de confort, c'est plus fort que moi. Mais je me souviens des paroles de Kathlyn et tâche de partir le cœur léger, comme elle me l'a si chaleureusement ordonné.

(...)

Une interminable, étroite et abîmée route semblant mener nulle part. Voilà sur quoi je roule depuis une éternité maintenant, à travers une forêt incroyablement dense. Par milliers, les énormes sapins de chaque côté assombrissent le paysage toujours pluvieux... Si j'ai réussi à décompresser et même apprécier ma petite balade en voiture jusque-là, mon cœur palpite de nouveau en ce moment. Le signal est mauvais ici et bien sûr, le satané GPS est en train de disjoncter. Super! Je pousse un soupir bruyant et attrape donc mon téléphone, le déconnectant et coupant la musique par là même. Je suis sur le point d'arriver à destination, dans une dizaine de minutes tout au plus. En tenant le volant d'une main ferme et en guettant devant de nombreux coups d'œil, je me contente alors de mémoriser le reste du trajet sur le petit écran figé. Je balance ensuite distraitement ce dernier sur le siège passager, par-dessus mon manteau de printemps. Il ne reste d'ailleurs plus qu'une canette vide et un emballage déchiré dans le porte-gobelet. De mon regard sérieux et attentif, je scrute ainsi le chemin qui continue de défiler, encore et encore. Seuls les essuie-glaces en marche et les fines gouttes d'eau, qui tombent du ciel pour s'écraser et crépiter contre la vitre, animent désormais mon auto silencieuse. Lorsque j'aperçois quatre ou cinq biches entres les arbres, tout près de la route, je ralentis avec prudence sans les lâcher des yeux. Ce trou perdu, au milieu d'une faune, d'une nature regorgeante est magnifique et sans doute profondément paisible. Mais aussi pas mal inquiétant quand on s'y aventure pour la première fois, à la rencontre d'un inconnu... Pas vrai?

Mille et un scénarios pour le moins catastrophiques et tirés par les cheveux naissent dans mon esprit, tandis que je prends finalement le virage à droite qui doit me mener à la fameuse adresse. Je m'efforce de chasser ces idées paranoïaques, rivant plutôt mes prunelles droit devant : une énorme propriété se dresse là-bas, au bout du rang désert. Plus j'approche et plus ma bouche s'entrouvre, pourtant muette devant cette vue fascinante. Au fil des kilomètres restants, je découvre une grande maison ancestrale en vinyle sauge dans ses moindres détails. Avec ses impressionnantes fenêtres en saillie, sa cheminée et ses colonnes en pierre naturelle, elle est vraiment à couper le souffle... Elle m'inspire un manoir, régnant d'ailleurs sur un terrain d'une taille démesurée dont je ne peux même pas apercevoir les limites de là où je suis! Mes doigts serrent tout à coup le volant. La nervosité me tord les tripes pendant que je pénètre la cour large, qui contourne la baraque jusqu'à l'arrière. N'osant toutefois pas avancer si loin, je décide de me garer juste là, devant les escaliers rougeâtres du spacieux balcon. J'observe l'endroit l'espace d'une ou deux minutes avant de couper le moteur. Aucun signe de vie pour l'instant; je vois le type et les chiens nulle part, ni même de véhicule. Allez, il me faut aller cogner à cette porte...

Je croise alors mes iris verts dans le rétroviseur, qui reflète mes jeunes traits harmonieux et parsemés de quelques grains de beauté. Bon sang. Je suis tout blême! Quelle mauviette... En expirant sèchement par les narines, je retire la clé du contact sans plus attendre. Elle pend bientôt contre mon torse avec le reste du trousseau, une fois que j'ai enfilé la lanière autour de mon cou. Ni une ni deux, mon cellulaire retrouve sa place dans ma poche puis je remets mon manteau, tirant de nouveau la capuche sur ma tête avant d'enfin descendre de la voiture. Il n'y a toujours que la pluie qui m'accueille tandis que je referme la portière, désormais planté sur mes jambes face au balcon... Mes billes alors bien rondes balaient les environs. De plus belle, je scrute la propriété inanimée tout en franchissant les escaliers d'un pas prudent. De vieux rideaux en dentelle obstruent les fenêtres et m'empêchent de voir à l'intérieur quand j'arrive à la porte; le numéro de celle-ci m'indique d'ailleurs que je suis bel et bien au bon endroit. Mon poing frappe donc trois fois sur le bois, à travers un geste de toute évidence nerveux. Je tends dès lors l'oreille, à l'affût de quelqu'un qui viendrait m'ouvrir... mais absolument rien ne se passe. En vain, je cogne et attends encore un long moment, sachant pourtant déjà que la maison est vide. Voilà que mon anxiété se transforme doucement en déception... Mais où est ledit Lincoln, hein? Je n'ai pas fait toute cette route pour repartir sans chien, moi!

Sous la toiture qui me protège du déluge, je lui envoie finalement un autre texto dans l'espoir qu'il se pointe vite ici. Je lui fais simplement part de mon arrivée. Lui et ses bêtes sont peut-être juste à l'autre bout du gigantesque domaine, après tout. Je fixe ainsi l'écran au creux de ma paume, m'exaspérant en constatant que le signal est toujours aussi mauvais. En effet, l'envoi de mon message nécessite une éternité... À l'instant même où ça fonctionne enfin, un aboiement rauque et puissant me fait sursauter. Je me raidis de tous mes muscles et trésaille sur-le-champ, si bien que j'en échappe mon appareil au sol. Pourtant, je ne me penche pas tout de suite pour le ramasser. Oh, non! Je tourne plutôt la tête par-dessus mon épaule, apercevant un animal pour le moins imposant – et mécontent – au pied des escaliers... Son regard d'une clarté perçante me fusille. Ses oreilles triangulaires, dont l'extrémité est nettement arrondie, sont dressées à l'avant avec assurance. Immobile sur ses grandes pattes larges, il me pointe de sa gueule massive et grondante tout en battant de la queue. Il est superbe, majestueux... Avec cet épais pelage blanc et sauvage, la plupart des gens croiraient d'ailleurs qu'il s'agit d'un loup. Et ils n'auraient pas complètement tort puisque c'est un American Wolfdog, un type de chien bel et bien hybride qui m'intéresse depuis longtemps.

— Salut, toi. Ça va, ne t'énerve pas... Je viens en ami.

Mon expression sidérée s'apaise donc en un clin d'œil. Je n'ai pas du tout peur de lui, au contraire : tout chien est une source instantanée de réconfort pour moi. Celui-là aussi, même s'il a du sang primitif et se montre « un peu » réticent pour l'instant! Sourire aux lèvres, je retire d'abord ma capuche afin de paraître moins louche. Je pose ensuite doucement un genou sur le balcon. En prenant soin de ne pas le regarder fixement dans les yeux, je murmure gentiment et lui offre ma main d'un geste lent. Je fais preuve de patience, de persévérance à son égard... Il finit par se taire et faire quelques pas en ma direction, comme je l'espérais. Sa truffe noire et humide renifle ainsi mes phalanges. Alors attentif à son attitude, j'étire le bras quand il semble assez attendri pour lui gratouiller délicatement et respectueusement le menton. Il a l'air d'apprécier puisque sa queue se balance désormais à un rythme plus détendu et amical... Quelle bête fascinante! Mon cœur bat à tout rompre tant les émotions se bousculent en moi. C'est la première fois que je caresse un tel spécimen et je ne peux décrire l'excitation, la passion qui m'anime. Bientôt, mes doigts descendent jusqu'à sa gorge et son poitrail. Les poils de sa fourrure dense et mouillée collent naturellement à ma peau.

— Brave toutou! Ce que tu es beau... Tu t'amuses bien dehors malgré la pluie, hein? Regarde-toi, tu es tout boueux...

De nouveaux canidés rejoignent soudainement la cour. Le souffle coupé, je reste alors figé et muet entre mes lèvres pourtant ouvertes... Juste là, devant mon minois émerveillé, une véritable meute d'au moins quinze bêtes fait son apparition. Il y en a de toutes les couleurs : surtout des gris, mais aussi des bruns et de plus rares noirs ou blancs comme le premier. Les nombreuses femelles sont reconnaissables grâce à leur élégante silhouette élancée. Les quelques mâles, dont celui que je câline, sont distinctement plus hauts et costauds. Aux anges, je peine à y croire et m'esclaffe finalement en secouant la tête. J'hésite même à me pincer pour m'assurer que je ne suis pas en train de rêver... Toujours à l'aide de mots et de gestes à la fois accueillants et passifs, j'essaie donc d'attirer d'autres de ces magnifiques créatures si méfiantes vers moi. Ce n'est pas gagné puisqu'ils gardent presque tous leurs distances – sans toutefois se montrer bruyants ou agités. Je vois bien qu'ils sont tout bonnement incertains. En effet, si les chiens-loups sont de nature très prudente en présence d'un étranger, ils sont en l'occurrence confus par la façon dont l'un des leurs m'accepte chaleureusement. Ils hésitent entre obéir à leur propre instinct ou faire confiance au sien et ainsi l'imiter... Deux individus au pelage bicolore osent alors venir à ma rencontre assez rapidement. De toute évidence jeunes et influençables, ils se laissent vite flatter volontiers à l'instar de leur aîné. Malheureusement, voilà qui ne semble pas plaire à ce dernier aussitôt jaloux. Hérissant l'échine et dressant la queue, dominant, il leur fait comprendre qu'il désire avoir toute l'attention à travers un vif grondement.

— Ouh là là! D'accord, du calme, mon grand... C'est bon, je ne caresse que toi alors.

Les sourcils haussés exagérément, une grimace amusée se dessine sur ma figure. Mes mains affectueuses s'empressent de retrouver son torse gonflé avec fierté. Ses pauvres congénères se retirent déjà, tout bredouilles... Non mais quel capricieux, celui-là! J'en ris de bon cœur.

— Tu sais que ce n'était pas très sympa, ça? Désolé, les mômes. Une autre fois, peut-être...

Là-dessus, sans cesser mes câlins désormais vigoureux, j'observe de plus belle le reste de la meute en bas du balcon. Mon regard tombe directement sur un animal que je n'avais pas vu jusque-là. Au moment où je pénètre ses prunelles d'un jaune profond, l'atmosphère semble tout à coup peser une tonne. Mon sourire s'efface en un éclair et mes doigts se pétrifient au creux de la fourrure humide. Une mauvaise intuition me prend alors aux tripes, quelque chose d'indescriptible que je n'ai jamais ressenti auparavant. J'en pousse un souffle tremblotant en fronçant maintenant les sourcils. Ne bougeant pas d'un poil malgré mon rythme cardiaque alarmé et mon sang glacé, l'étrange canidé me captive encore quelques secondes. Très haut au garrot, c'est un véritable géant dépassant de loin un loup adulte. D'ailleurs, les autres hybrides paraissent soudainement ordinaires à côté de lui. Noir en entier à l'exception d'une barbiche et d'une tache au poitrail blanches, son pelage dur et ébouriffé lui donne un look pour le moins unique. Posé et intimidant, il dégage une prestance écrasante. Il a de quoi inspirer la crainte et pourtant, ce n'est pas lui qui me fait froid dans le dos... Pas du tout même. L'instinct surréel qui se manifeste en moi me met plutôt en garde contre cette paire d'énormes bottes sales. En effet, l'excentrique chien-loup n'est pas seul : il se tient auprès de deux jambes colossales, plantées droitement au sol et vêtues d'un pantalon cargo détrempé par la pluie. On dirait bien que le maître des lieux montre enfin le bout de son nez...

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