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« — Ça va papa ? Je te sens bizarre. Quelque chose ne va pas ? — Non, ne t’inquiète pas ma chérie. Tout va bien. — Mais… ? — J’ai reçu une lettre ce matin… — Et ? » Depuis son enfance, au fur et à mesure qu’il avance, Eliès claque les portes derrière lui et ne se retourne jamais. Cependant, cette lettre inattendue vient frapper à celle qui ne s’est jamais bien refermée. Un retour dans les années 70-80. D’un paisible quartier toulousain jusqu’à la plage de Port-Sainte-Lucie sur la côte occitane où le vent dicte impitoyablement sa loi. Une nouvelle vie, de nouvelles amitiés, une histoire d’amour sublime et intense, un rêve, mais un rêve qui s’achèvera de façon tragique. À PROPOS DE L’AUTEUR Gérard Diffis est un lecteur passionné. Il s’imprègne ainsi du récit et le vit jusqu’à la dernière page. Grâce à son imagination et à ses rencontres, il crée des personnages attachants souvent abandonnés et qui ne demandent qu’à être mis en scène.

Chapitre 1 No.1

Toulouse 2018

— Ça va papa ? Je te sens bizarre. Quelque chose ne va pas ?

— Non, ne t’inquiète pas, ma chérie. Tout va bien.

— Mais… ?

— J’ai reçu une lettre ce matin. Je l’ai posée sur mon bureau. Je ne l’ai pas ouverte. Elle a été postée à Port-Sainte-Lucie.

— Et ?

— Ça fait trente-cinq ans que je n’ai rien reçu, depuis…

— Depuis ?

Silence.

— Papa ?

— Depuis que…

Silence.

— C’est donc ça qui te tracasse p’pa. Écoute, j’ai quelques courses à faire pour le magasin. Ensuite, je viens déjeuner avec toi. D’accord ?

Emy me téléphone tous les jours, en fin de matinée. Elle habite avec son mari à quelques centaines de mètres de chez moi. Ils travaillent tous les deux à la Pizza des Charmilles. Depuis huit ans maintenant. Depuis que j’ai pris la retraite.

Quelques soucis de santé avaient précipité mon départ et François, mon gendre, m’avait proposé, à l’époque, de gérer le magasin pendant mon absence. Il ne l’a plus quitté depuis. Emy voulait être prof d’anglais mais, après trois années passées à la Fac de Toulouse, elle avait changé d’avis. Enseigner ne l’intéressait plus et elle était venue me rejoindre. Le travail lui plaisait mais elle ne se sentait pas capable de gérer seule, administrativement, une équipe de huit personnes. Ils sont quinze maintenant et François a abandonné son ancien métier de courtier pour se consacrer uniquement à la pizza. Petit à petit, ils ont tout refait à l’intérieur, les labos de préparation, la plonge, les frigos. Tout est informatisé : il y a des écrans partout. La Pizza des Charmilles est devenue une entreprise moderne, une véritable institution dans le quartier.

C’est une réussite et j’en suis heureux.

Emy s’inquiète pour moi. Depuis mon accident cardiaque. Pourtant ça fait dix ans. Je suis tout à fait rétabli maintenant, mais, dès que quelque chose lui paraît bizarre, elle me questionne. Elle veut savoir.

Avec François, son mari, ils s’entendent bien. Je ne dis pas que c’est toujours facile car ma fille a un caractère bien trempé. Ils forment un joli couple. Ils n’ont pas d’enfant et ne se posent pas de questions à ce sujet. Sans être égoïstes, ils peuvent ainsi profiter l’un de l’autre et ne s’en privent pas.

Emy et moi avons toujours été très proches. Nous déjeunons ou dînons ensemble au moins deux fois par semaine. Ce n’est jamais le même jour ni la même heure. Cela dépend de la disponibilité de mon gendre. Ou de la sienne. Elle a de nombreuses activités. Elle fait notamment partie d’une troupe de théâtre et prend beaucoup de plaisir à jouer avec ses camarades comédiens.

La lettre m’intrigue. Je n’ouvre pas tous les jours la boîte aux lettres, garnie généralement de prospectus. Mes voisins ont tous collé une étiquette sur la leur, n’autorisant que le passage du facteur, mais moi, je m’y suis refusé. Je trouve que le distributeur de prospectus est un garçon bien sympathique et le jour où toutes les boîtes lui seront fermées, le pauvre gars n’aura plus de boulot. Et il ne mérite pas ça.

Comme tout le monde, je ne reçois plus que du courrier électronique, notamment pour tout ce qui est important. Les rares lettres sont des publicités ou des avis de passage du facteur pour des recommandés concernant le syndic de copropriété.

L’enveloppe est posée sur le bureau. Le nom et l’adresse sont inscrits à la main d’une écriture appliquée.

Monsieur Eliès Callas

1, Impasse des Aviateurs

Ce n’est pas le contenu qui me tracasse, mais ce qu’elle représente.

Emy n’a pas mis une heure pour me rejoindre. Elle a dû accélérer le pas.

— J’ai fait les courses, papa, me dit-elle en arrivant. François viendra nous retrouver tout à l’heure. Il ne travaille pas cet après-midi. Il a des trucs à te demander pour le boulot.

Mon gendre se débrouille très bien tout seul. Il n’a pas besoin de moi. Ni de mes conseils. S’il me demande souvent mon avis, c’est juste parce qu’il m’aime bien et non par nécessité. C’est presque devenu un jeu entre nous et nous y prenons tous les deux du plaisir.

Nous avons l’habitude d’acheter le plat du jour au restaurant italien de la place des Charmilles. Avec nos horaires décalés, c’est une chance pour nous de pouvoir y passer quelle que soit l’heure et d’emporter notre repas tout fumant dans des barquettes en alu. Les pâtes sont toujours délicieuses et chaque fois, Paolo, le cuisinier, nous sert copieusement.

François arriva juste à temps pour partager notre repas. Après le dessert, nous nous installons au soleil sur la terrasse de mon appartement.

— Tu nous sers le café papa ? Pendant ce temps, je vais classer ton courrier. Tu es de plus en plus négligent. Il y a plein de choses à ranger sur ton bureau. Et je vois que tu n’as pas ouvert la lettre que tu as reçue ce matin.

Elle revient vers moi et me dit en me la tendant :

— S’il te plaît, papa, ce n’est pas à moi de le faire.

— Qu’est-ce que c’est, me demande François ?

— Je ne sais pas, dis-je troublé en reposant la lettre sur la table.

— Eliès ! s’exclama-t-il, si tu ne l’ouvres pas, tu ne sauras jamais.

Je fais comme si je ne l’entendais pas et me lève pour insérer une dosette de café dans la machine Nespresso.

— Le plus léger pour Emy, le plus serré pour François, et bien allongé pour moi, comme d’habitude.

Je dispose les trois tasses sur la table de la terrasse et demande à François :

— Comment ça se passe avec le nouveau four ?

Je n’ai pas envie d’ouvrir l’enveloppe tout de suite. J’ai besoin de temps et surtout d’être seul. En engageant la conversation sur la pizzeria, je sais que je fais diversion et que François, passionné par son travail, oubliera la lettre que je prends soin d’aller poser dans la cuisine.

— Alors ? me demande ma fille en nous rejoignant. Tu l’as ouverte ?

— Ce n’est pas important, répondis-je. François m’explique le fonctionnement du nouveau four.

— Je t’appellerai ce soir puisque tu ne veux rien me dire maintenant.

Une heure plus tard, je me retrouve de nouveau seul.

Je prends la lettre posée à côté de l’évier et vais la porter dans la corbeille du courrier, puis je retourne dans la cuisine pour laver et ranger les trois tasses à café. Je reviens de nouveau m’asseoir derrière mon bureau. La lettre est toujours là. Je la regarde. Elle m’attend. Elle n’a pas bougé. Je ne sais pas quoi faire. Je tends ma main qui avance puis qui recule. J’hésite encore un long moment. Je n’arrive pas à me décider. « C’est si loin tout ça. » L’enveloppe est maintenant dans mes mains. « Je ne crois pas que ce soit une bonne idée. » Je la tourne et la retourne plusieurs fois entre mes doigts. « Ne fais pas ça Eliès, ça va servir à quoi ? » Alors je saisis le coupe-papier et ouvre l’enveloppe.

Il y a une carte de visite, toute simple, au nom de Romain Santos. Au verso est écrit de la même écriture que sur l’enveloppe :

Eliès,

Mon père est décédé la semaine dernière.

Jusqu’au dernier moment, il m’a parlé de toi.

Il aurait voulu te revoir. Peut-être ta peine,

comme la nôtre, aurait été moins grande.

Tu as beaucoup compté pour nous tous.

Je m’aperçois que ma main tremble. Ma gorge se serre. Cela fait trente-cinq ans, déjà trente-cinq ans et tout me revient comme si c’était hier. Tout ce dont je n’ai jamais parlé. À personne. Tout ce que j’ai bien gardé enfoui au fond de moi. Un été. L’été 83. Le plus bel été du monde. Les plus beaux jours de ma vie. Puis une plaie. Une plaie qui, trente-cinq ans plus tard, ne s’est jamais refermée et saigne encore.

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